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raison de l’impénétrabilité, — je dirais volontiers l’imperméabilité, — de la civilisation chinoise à la propagande chrétienne ? Je sais le zèle de nos missionnaires, et je n’aurais garde ici de vouloir décourager leur effort ! Mais on peut bien dire que les progrès du christianisme en Chine sont étrangement lents et de nature à désespérer une religion qui n’aurait pas confiance, comme la nôtre, en son éternité. La raison en est que la religion de la Chine, autant ou plus qu’une « religion, » est une « sociologie. » La part de la métaphysique ou de la spéculation y est nulle, et le caractère en est éminemment pratique. C’est, même ce qui l’a fait longtemps considérer comme athée ; et, si l’expression de « religion athée » ne laissait pas d’être paradoxale et contradictoire, on ne se trompait pourtant pas sur le fond. La religion de la Chine semble consister tout entière en un corps de préceptes moraux dont l’objet n’est que de réaliser un idéal social. Mais comme cet idéal social est assez éloigné de celui que le christianisme propose à ses fidèles, il en résulte que le christianisme ne saurait faire en Chine de progrès qui ne tende à modifier la structure de la société ; — et là même est l’explication de la résistance qu’il rencontre. Si jamais le christianisme triomphe des religions de la Chine, cela ne voudra donc pas dire qu’elles aient reconnu sa supériorité dogmatique ou métaphysique, mais la civilisation chinoise aura reconnu la supériorité des civilisations du type occidental. Ou, en d’autres termes encore, ce n’est pas l’enseignement du christianisme qui aura modifié la mentalité chinoise, mais c’est la mentalité chinoise préalablement modifiée, et transformée, qui sera devenue capable de l’enseignement du christianisme. Et, en attendant, s’il n’y est pas persécuté, cet enseignement y sera rendu vain par la résistance que lui opposera la forme même de la société. La preuve que toute religion est essentiellement une « sociologie, » c’est qu’aussi longtemps qu’une société n’est pas modifiée dans sa structure intime, on ne la verra pas changer de religion, et quand elle en changera, ce ne sera pas, à proprement parler, de « religion » qu’elle aura changé, mais de manière d’entendre la nature, l’objet, et le but de la société.

J’en trouve une autre preuve dans les transformations qui s’opèrent en ce moment même au sein du protestantisme, et qui semblent avoir pour objet la « socialisation » d’une formule religieuse dont le calvinisme avait fait si longtemps une « affaire