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de ce qu’en effet elles le sont toutes, ou presque toutes, devenues, ils en ont conclu que la religion n’en avait donc été que le prétexte. La conclusion était fausse, mais l’hésitation était permise. Elle ne l’est plus, si l’on fait attention qu’étant chose collective, aucune religion ne saurait être « réformée, » que la structure d’une société tout entière n’en soit nécessairement et profondément modifiée.

En voici un exemple dans l’analyse qu’Eugène Burnouf a donnée (Introduction à l’histoire du bouddhisme Indien, IIe Mémoire, IIe section) des relations du bouddhisme et du brahmanisme. En proclamant, — non pas l’égalité des hommes, « peu comprise, en général, des peuples asiatiques, » — mais la possibilité pour tout homme « d’échapper à la loi de la transmigration, » ce qui est sans doute éminemment une affirmation de l’ordre dogmatique, Çakya-Mouni ne « tendait à rien moins qu’à détruire, dans un temps donné, la subordination des castes, » ce qui sans doute était une réforme de l’ordre politique ou social. Un autre exemple de cette solidarité nous est manifesté dans le procès de Socrate. « On peut l’avouer aujourd’hui, nous dit expressément Victor Cousin (Œuvres de Platon, t. I, p. 56), Socrate ne s’élève tant comme philosophe qu’à condition précisément d’être coupable comme citoyen. » Et qu’est-ce encore que la politique des Empereurs a poursuivi dans le christianisme naissant, sinon le danger qu’en attaquant « la religion de l’Etat » et les « dieux de la patrie, » la religion nouvelle faisait courir à la collectivité dont ces dieux étaient les protecteurs, et cette religion d’Etat la garantie de durée ? « Les religions se jugent par les services qu’elles rendent, disait Symmaque dans un discours célèbre (Cf. Gaston Boissier, La Fin du Paganisme, t. II, p. 317-323), l’homme ne s’attache aux dieux que quand ils lui ont été utiles, utilitas quæ maxime homini deos asserit. » Quelle que soit l’origine d’une révolution religieuse, on ne saurait donc l’empêcher d’être ou de devenir presque toujours une révolution politique, et surtout « sociale. » C’est ce qui n’aurait probablement pas lieu si la religion n’était qu’une « affaire individuelle. » Et je n’examine point, pour le moment, s’il vaudrait mieux qu’elle le fût, ni s’il faut travailler à ce qu’elle le devienne, mais je dis qu’aucune religion ne l’a été dans l’histoire, et c’est, pour le moment, tout ce qu’il s’agissait de montrer, — ou de constater.