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Bossuet l’a dit quelque part, avec sa franchise habituelle : « L’hérétique est celui qui a une opinion ; » et il ajoute : « C’est même ce que le mot veut dire. » Ni Calvin avant Bossuet, ni, avant Bossuet et Calvin, les juges de Socrate n’ont pensé autrement. Anciennes ou modernes, dans toutes les religions, l’hérétique est celui qui se détache du groupe, qui s’y oppose lui tout seul, qui le met donc par-là même en danger de se dissocier, et c’est une chose bien remarquable que, sur quelque paradoxe que son hérésie se fonde, on lui en veut toujours bien moins de ce que son paradoxe a de blasphématoire, ou de scandaleux, que de ce qu’il a d’individuel, ou de solitaire. Væ soli ! Malheur à celui qui est seul ! Les hommes aiment à penser en troupe. C’est pourquoi tout hérétique a toujours succombé dans l’histoire qui n’avait pas réussi d’abord à devenir « plusieurs. » Et comme, en devenant « plusieurs, » s’il ne cessait pas pour cela d’être hérétique, son hérésie changeait cependant de nature, devenait ce qu’on appelle un « schisme, » et qu’un schisme est une communion, la communion des séparés, la religion se trouve ainsi ramenée à son caractère principal, en tant qu’il est d’être une croyance collective. Aucun effort n’a jamais prévalu contre une religion qui lui-même ne fût collectif. Tout hérétique est un meneur ou un conducteur d’hommes qui veulent comme lui se détacher de la collectivité dont ils faisaient partie, et c’est ce qui explique en tout temps la violence des luttes religieuses : « Rien, a dit encore Bossuet, n’excite de plus grands tumultes parmi les hommes ; rien ne les remue davantage, et rien en même temps ne les remue moins. »

« Rien ne les remue moins, » parce qu’en effet les préoccupations de la vie quotidienne rejettent ordinairement la préoccupation religieuse à l’arrière-plan de notre activité et comme dans l’ombre de l’inconscience ! Mais, « rien en même temps ne les remue davantage, » parce qu’une religion qui se sent menacée, c’est une société qui se sent ébranlée jusque dans ses fondemens ; c’est une communauté qui se sent inquiétée dans le principe de son existence même ; c’est une collectivité dont les élémens se retournent, pour ainsi parler, contre elle-même, et rompent, en brisant le lien qui formait leur union, celui qui faisait en même temps le secret de sa force. Aussi les historiens ont-ils quelquefois hésité sur le vrai caractère des révolutions religieuses. Ils les ont crues plus d’une fois « politiques, » et