Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la sociologie qu’il aboutit à la religion, et c’est sa religion qu’il a vue devenir à son tour la règle et à la fois le juge de sa sociologie. Sa religion, dont il a eu grand soin de n’éliminer ni l’inconnaissable ni le surnaturel, — et au contraire, personne n’a qualifié plus sévèrement que lui la « monstrueuse » contradiction qui se dissimule sous le nom de « religion naturelle, » — est le fondement mystique de sa sociologie. Sa sociologie n’est qu’un effort pour réaliser son « royaume de Dieu » sur la terre. « Le mot même de religion, lisons-nous dans son Catéchisme Positiviste, indique l’état de complète unité qui distingue notre existence, à la fois personnelle et sociale quand toutes ses parties, tant morales que physiques, convergent habituellement vers une destination commune… La religion consiste donc à régler chaque nature individuelle et à rallier toutes les individualités, ce qui constitue seulement deux cas distincts d’un problème unique. » Je voudrais montrer aujourd’hui comment cette conception ou cette idée de la religion s’oppose à de plus superficielles ou de plus étroites, ce qu’elle a de vraiment, de profondément, d’éternellement religieux, et qu’il suffit enfin, pour l’utiliser, de la compléter. Quelque contraste qu’il y ait entre le plaisir et la peine, disaient les Anciens, ils ne laissent pas d’être conjoints par un lien de nature : societate quadam naturali. C’est ainsi que l’erreur et la vérité ne sont pas toujours ni même ordinairement séparées l’une de l’autre par des abîmes ; on les trouve souvent plus voisines qu’on ne les croyait ; et, pour faire quelquefois servir la première à la démonstration ou à la glorification de la seconde, il y faut moins d’adresse ou d’intelligence que de « bonne volonté. »


II

J’ai déjà cité bien des fois, — et je ne suis pas incapable de citer plus d’une fois encore, — le mot si caractéristique de Madame, mère du Régent : « Chacun se fait son petit religion à part soi. » C’est qu’en effet, s’il n’y en a pas de plus allemand, ni peut-être de plus protestant, je n’en connais guère de moins « religieux : » je veux dire de moins conforme à tout ce que nous enseigne l’histoire même des religions. On se fait peut-être « son petit métaphysique, » ou « son petit philosophie » à part soi ! Mais en histoire, dans la réalité de l’histoire, nous ne connaissons