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notre marine. Mais il faut reconnaître les difficultés que présentaient ces expéditions : il était impossible de songer à prendre les Salétins à la course à cause de leur voilure : « Un vaisseau de vingt canons en a autant que ceux du Roi de quarante. » Sur nos frégates les plus légères, les officiers de la marine royale, habitués à leurs aises, emportaient des vivres et des meubles en quantité considérable, ce qui était un embarras pour ces vaisseaux et les plaçait dans une condition d’infériorité par rapport aux « pinques » de Salé, où toute la place était occupée par des gens de guerre, où les officiers vivaient de la même vie que leurs équipages et où l’âpreté au gain était d’autant plus grande que chacun savait qu’en cas d’insuccès, il ne serait pas payé. Dans un projet daté de 1683 et intitulé : « Projet pour armer des barques et tartanes bien armées pour faire la guerre aux corsaires de Salé[1], » on préconise l’emploi de navires marchands de faible tonnage portant cinquante soldats et cinquante matelots ; ces navires, qui n’auraient pas éveillé la défiance des corsaires et pouvaient au besoin mouiller dans leurs rades, devaient se faire poursuivre par les pinques marocaines et l’on espérait que dans un combat d’abordage, nous reprendrions nos avantages. Le « Mémoire sur la guerre contre les corsaires de Salé, » daté de 1687, demande l’envoi de six frégates choisies parmi les meilleures voilières ; elles devront avoir des avirons, et emporter des vivres pour deux mois ; les équipages seront nombreux ; mais il y aura peu d’officiers « à cause de la grande quantité de vivres et de meubles qu’il leur faut, ce qui embarrasse considérablement ces petits vaisseaux : » les capitaines devront être bons manœuvriers et gens « qui n’aiment point la terre ; » cette escadre aurait croisé des îles Berlingues à Salé. Notre consul Estelle, en 1698, revenait à la charge et réclamait l’envoi de huit frégates sur la côte ouest du Maroc. Pointis, en 1702, proposait d’occuper Salé et la Mamora ; Salé, d’après ses renseignemens, pourrait tout au plus tirer dix ou douze coups de canon et « l’on ne saurait faire d’entreprise où il y ait moins à craindre. » Ce n’était pas le danger qui arrêtait l’exécution de ces plans, mais les dépenses considérables qu’eût exigées leur réalisation pour un résultat aléatoire. C’est pourquoi, en 1732, Nadal, capitaine de vaisseau marchand, proposait à Louis XV d’affecter le produit

  1. Aff. étr. Maroc. Mémoires et Documens, 2, f° 128.