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tenait la banderole l’abandonna au vent. Elle était de couleur verte, semée de demi-lunes d’argent entrelacées. Il est aisé de conjecturer combien nous fut agréable cette banderole et de se voir emmener à Alger. » On parlementa peu et, les corsaires ayant promis de « faire bon quartier, » le capitaine anglais mit l’esquif à la mer pour se rendre entre les mains de ses ennemis.

Alors les soldats turcs désireux de piller vinrent à bord du navire chrétien au nombre de douze ; d’Aranda pris par un renégat anglais ne fut pas trop maltraité. « Je lui donnai l’argent que j’avais sur moi, et en même temps un autre Turc mit sa main dans ma poche, prenant mon étui, mon mouchoir, mon chapelet et mes Heures, lesquelles il me rendit avec le mouchoir ; mais il retint le rosaire avec l’étui, à cause de quoi il disait que j’étais chirurgien. » Le pillage des passagers et de l’équipage constituait la part de prise des hommes d’armes embarqués sur le corsaire, car la cargaison et les esclaves étaient l’objet de répartitions ultérieures entre le sultan du Maroc (ou bien le dey d’Alger), les armateurs et le raïs, répartitions dans lesquelles ils étaient le plus souvent oubliés. D’Aranda, transporté avec ses compagnons à bord du corsaire, croyait rêver : « J’étais jusqu’ici comme dans un sommeil où l’on voit d’étranges fantômes, qui causent de la crainte, de l’admiration et de la curiosité ; prenant garde aux diverses langues (car on parlait turc, arabe, franco, espagnol, flamand, français et anglais) ; aux habitudes étranges et aux armes différentes avec les cérémonies ridicules, quand ils font leurs prières, vous assurant que tout ceci me donnait matière pour spéculer. »

De pareils coups de main étaient faciles, comme on le voit, et se terminaient généralement sans mort d’hommes. Cependant il arrivait que des navires chrétiens faisaient résistance jusqu’à la dernière extrémité ; ce fut le cas du capitaine anglais Bellami qui, allant de Londres à Livourne en 1683, fut rencontré par Venetia, fameux corsaire de Salé ; Bellami riposta décharge pour décharge, et lorsqu’il se rendit n’ayant plus de poudre, les Salé-tins avaient trente hommes tués ou blessés. Par centre, la capture de certains navires ne coûtait même pas aux corsaires une démonstration ; il y avait des capitaines qui, spéculant sur les assurances maritimes et faisant acte de baraterie, livraient leurs propres navires aux Barbaresques. Il en arriva ainsi à la Royale, frégate de soixante tonneaux et armée de six pièces de canon ;