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d’un combat ; la razzia[1] est sur terre l’exacte image de ces expéditions maritimes, et, dans les deux cas, on s’enfuit en hâte, si l’ennemi est en force ou fait bonne garde, car la surprise est le premier facteur du succès. L’audace des pirates était donc assez relative ; on peut dire qu’ils n’attaquaient qu’à coup sûr : « A la découverte d’une voile, ils s’appliquent à connaître si le vaisseau est grand ou petit, s’il est navire du Roi ou marchand, et demandent aux renégats des nouvelles positives de leur découverte, car la crainte et la peur s’emparent facilement de leurs cœurs et ils balancent longtemps sur l’incertitude de prendre ou d’être pris[2]. » Ces détails donnés par un captif pris par des Salétins sont d’une observation très juste, et cette psychologie du corsaire qui aperçoit une voile est celle du rezzon qui, après une nuit de marche, découvre le matin à l’horizon la fumée des douars qu’il vient razzier.

La ruse la plus fréquemment employée par les Barbaresques était d’arborer de faux pavillons et elle réussissait d’autant mieux qu’ayant à leurs bords des renégats parlant toutes les langues de l’Europe, il leur était facile de se donner pour Italiens, Espagnols, Flamands, Français ou Anglais. Lorsque Salé et Alger, réconciliées par l’Angleterre, après la prise de Gibraltar, vécurent en bonne intelligence, les corsaires de ces deux villes s’entendirent pour échanger leurs couleurs ; ils trompaient ainsi les équipages des bâtimens de commerce auxquels ils donnaient la chasse, car, s’il était relativement facile de distinguer de près un corsaire barbaresque d’un croiseur européen, il devenait beaucoup plus difficile de reconnaître « si le pèlerin était d’Alger ou de Salé, » et cependant cette distinction avait aussi son importance, puisque les navires marchands n’avaient à se précautionner que contre celle de ces deux villes qui, ayant rompu sa paix avec l’Europe, pouvait seule régulièrement exercer les droits d’un belligérant. Une voile était-elle signalée à un raïs, il lui courait sus et, se gardant de toute démonstration hostile, procédait aux formalités prescrites pour l’application du droit de visite. C’était pour lui la meilleure manière de se renseigner sur la force du navire chrétien ainsi que sur l’importance de sa cargaison, et d’ailleurs elle l’exposait fort peu, car, par sa vitesse et

  1. Le mot arabe ghâzia, que nous avons francisé sous la forme razzia, s’applique, d’ailleurs, à la course sur mer aussi bien qu’à une expédition sur terre.
  2. Histoire d’un captif racheté à Maroc, s. l. n. d. 8e pièce.