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pourraient jamais achever une galère si ce n’est par la faveur et intelligence qu’ils ont avec leurs pensionnaires, confédérés et associés qui leur envoient le bois, les charpentiers, les mâts, les avirons, les chaînes toutes faites pour enferrer les chrétiens[1]. » Ces pensionnaires, confédérés et associés, étaient les Hollandais. La Hollande qui, au XIVe et au XVIIe siècle, possédait la marine de commerce la plus active et la plus riche, était le véritable arsenal de la Barbarie et de Salé en particulier ; elle fournissait aux corsaires tous les matériaux nécessaires à la construction de leurs navires, ou leur livrait des bâtimens tout armés. Le temps était passé où les rescrits des papes interdisaient de transporter en pays musulman des armes, des munitions et tout ce qui pouvait servir à faire la guerre sur terre et sur mer. Même parmi les nations catholiques, la France était à peu près la seule à tenir compte de ces prohibitions que les rois avaient d’ailleurs renouvelées dans leurs ordonnances. Aussi, alors que les autres puissances se livraient plus ou moins clandestinement à ce commerce, voyait-on le brave chevalier François de Vintimille épuisé par la fatigue et la maladie refuser de traiter de sa rançon avec des négocians chrétiens qui voulaient en faire le prix avec de la poudre : « Deux ou trois marchands de Marseille lui présentèrent sept ou huit cents quintaux de poudre, luy donnant pouvoir de s’en servir pour son rachat ; lesquels il remercia, leur disant qu’il aimait beaucoup mieux mourir en esclavage que de se servir de ces poudres, scachant par la règle des consciences que ceux qui donnent aux infidelles semblables commoditez, sont excommuniez et blessent infidellement la volonté des Roys[2]. » La Hollande, beaucoup plus préoccupée des intérêts de son commerce que de ceux de la chrétienté, apportait dans ses relations avec le Maroc et avec Salé un esprit particulariste et un manque de scrupule dont les corsaires surent profiter. L’incident arrivé en 1658 au navire le Prophète Daniel, du port de Lubeck, en donne la mesure. Le Prophète Daniel s’était emparé d’un corsaire de Salé, avait capturé l’équipage et mis le feu au navire, après l’avoir pillé. Un bâtiment hollandais survint trois jours après et prétendit que le corsaire n’était pas de bonne prise, ayant été capturé à la vue des Hollandais qui étaient en paix avec Salé.

  1. Mémoires portant sur plusieurs avertissemens présentez au roy par le capitaine Foucques. Paris, 1609.
  2. L’Esclavage du brave chevalier François de Vintimille, p. 104.