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têtes et tenant une coupe à la main, enivre par la douceur de ses charmes tous les peuples de la terre. »

Il y eut bien quelques indigènes de la Barbarie qui se formèrent au métier de raïs, capitaines de navires ; mais leurs connaissances nautiques furent toujours très insuffisantes. « Combien, écrit dans sa relation de captivité un capitaine marchand qui était tombé entre leurs mains, combien ne seraient-ils pas dans le cas d’interrompre notre commerce s’ils connaissaient la navigation ! Le corsaire qui me prit était perdu sans ressources s’il ne nous avait rencontrés. Je fus forcé, le pistolet sur la gorge, de les piloter jusqu’à leurs côtes. » La plupart des raïs des galères turques elles-mêmes étaient des renégats ; il en était de même des pilotes. « Les Turcs, écrit le sieur de Rocqueville, sont gens fainéans et peu accoutumés à travailler. Quand ils sont en mer, ils ne font aucune chose que de prendre du tabac et dormir… Sans les renégats, ils ne pourraient faire la navigation ni la course[1]. » Telle était l’inhabileté de leurs équipages que l’on était parfois contraint « de déferrer quelques esclaves chrétiens » pour aider à la manœuvre[2].

Ce recrutement des raïs et des pilotes parmi les renégats, qui était déjà une nécessité dans la Méditerranée avec la navigation facile de la galère et de ses dérivés, s’imposait bien davantage à Salé où les bâtimens longs et exclusivement à rames, ne possédant pas des qualités nautiques suffisantes pour affronter les tempêtes de l’Atlantique, furent remplacés soit par des caravelles, soit par des pinasses légères bordant des avirons et dans la suite par des vaisseaux ronds, quand le type de ce bâtiment se généralisa au XVIIe siècle.

Les bâtimens salétins, à quelque type qu’ils appartinssent, calaient fort peu d’eau en raison du manque de fond de leur port ; ils avaient une voilure énorme ; leur armement en hommes et en artillerie était, à tonnage égal, très supérieur à celui des navires européens. Tout était sacrifié à la vitesse et à la puissance offensive. En dehors des équipages, les hommes embarqués se composaient de tous ceux qu’attirait le pillage et parmi eux se trouvaient des indigènes, car si les races du Maghreb, comme

  1. Rocqueville, Relation des mœurs et du gouvernement des Turcs d’Alger. Paris, 1675.
  2. Voïage de Levant fait par le commandement du Roy en l’année 1621, par le Sr D. C. (des Hayes, baron de Courmesoin), in-4o. Paris, 1624.