Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de reconquérir sur les chrétiens, elles étaient pour la plupart ruinées et désertes ; si elles offraient aux corsaires de précieux abris, elles ne pouvaient leur servir de ports d’armemens.

Salé, à l’embouchure de l’oued Bou-Regrag et sur la rive droite de ce fleuve, fait face à Rbat placé sur l’autre rive, et la situation de ces deux villes rappelle un peu celle de Bayonne et de Saint-Esprit à l’entrée de l’Adour. On pourrait appeler Salé et Rbat les deux villes sœurs, puisque cet euphémisme sert le plus souvent à désigner deux cités voisines et jalouses de leur prépondérance. Le groupe Salé-Rbat, ou plutôt l’embouchure du Bou-Regrag, est une position de la plus haute importance ; c’est la clef de l’empire du Maroc sur l’Atlantique au point de vue politique, économique et stratégique. La terrasse, dans laquelle le fleuve a creusé son lit, est issue d’un nœud orographique situé non loin du versant nord du haut Atlas, à l’opposite des vallées qui descendent au sud vers le Tafilelt ; ce nœud orographique comparable à notre massif central, comme centre de dispersion des eaux et comme forteresse naturelle, présente cette particularité qu’il ne peut être tourné facilement par le sud, étant presque soudé aux pentes du haut Atlas. Dans toutes les autres directions, c’est-à-dire vers l’Ouest, le Nord-Ouest, le Nord et le Nord-Est, ce nœud orographique a donné naissance à de forts soulèvemens qui s’étagent en terrasses et s’épanouissent en éventail pour s’arrêter tous vers le Nord à une ligne allant de Rbat sur l’Atlantique à Oudjda (frontière est du Maroc) par Mekinez, Fez et Taza.

Parmi ces terrasses, celle du Bou-Regrag est tout particulièrement intéressante, car elle a longtemps constitué, et l’on pourrait presque dire, constitue encore une ligne de démarcation politique. Deux centres d’hégémonie se sont créés de part et d’autre : le premier, le plus important, au nord à Fez ; le second, au sud dans la ville de Maroc. La terrasse du Bou-Regrag orientée du Sud-Est au Nord-Ouest, et qui finit en musoir sur l’Atlantique, coupe le Maroc en deux parties distinctes appelées autrefois le royaume de Fez et le royaume de Maroc (Marrakech)[1] ; elle s’oppose à toute communication directe et facile

  1. Il semble qu’il soit temps de restituer à cette ville son véritable nom de Marrakech ; celui de Maroc donné à la fois à une ville et à un État entraine de nombreuses confusions ; c’est ainsi que les expressions royaume de Maroc et royaume du Maroc sont loin d’être synonymes.