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mélodieuse figure que celle de Casella ? Du moins il n’en est pas une autre que Dante ait plus de plaisir et d’émotion à revoir, tant il aima le musicien et tant il en fut aimé.


« Casella mio, » si quelque loi nouvelle ne t’enlève pas la mémoire et l’usage des chants d’amour, de ces chants qui naguère apaisaient en moi toute peine, oh ! qu’il te plaise, en chantant, de consoler mon âme, qui d’être venue ici, portant le poids du corps, éprouve une telle lassitude !


Aussitôt Casella se met à chanter, et le chant de cette âme courtoise n’est autre que l’admirable canzone de Dante lui-même : Amor che mi ragiona nella mente. Casella, sans doute, l’avait mise en musique sur la terre, et même après la mort il n’avait pu l’oublier. L’exquise rencontre a lieu dans le second chant du Purgatoire. Et c’est l’honneur de la musique, que Dante, à peine sorti de l’Enfer, ne sache déjà plus se passer d’elle, et c’est l’honneur des musiciens que l’un d’eux soit parmi les êtres que Dante a le plus aimés.


IV

Aucune des formes de l’art n’est étrangère au poète de la Divine Comédie, et ces formes, de son temps même, eurent plus de richesse et de variété qu’on ne pourrait croire. « Les tendances musicales du XIIIe siècle, a dit avec raison M. Gevaert, étaient éminemment favorables à l’art du chant. Les compositions de cette époque n’étaient pas exclusivement harmoniques. Nous possédons dans la notation originale une foule de chansons françaises composées entre 1200 et 1350. Ce sont, avec les cantigas du roi de Castille Alphonse le Sage, les plus anciens spécimens authentiques de mélodie profane qui soient parvenus jusqu’à nous. » Il est donc vrai que l’art du XIIIe siècle n’était pas exclusivement harmonique ; mais il pouvait l’être, et nous trouvons dans la Divine Comédie des exemples tantôt d’harmonie vocale et tantôt de monodie.

C’est un solo sans accompagnement que la canzone de Casella. Matelda chante à voix seule aussi, parmi les fleurs « dont sa route est peinte, » et le poète, sensible à la diction non moins qu’à la musique, la prie de s’approcher afin qu’il saisisse mieux les paroles et que « le doux son » arrive à son oreille « coi suoi intendimenti. » Mais Dante goûte également le charme que les