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Ainsi parle Carlyle, dans son livre des Héros[1]. Et comme un jour nous méditions cette page, voici que nous reçûmes d’Italie, et d’un Italien, musicien et poète, une lettre, digne aussi d’être citée : « Dante et la musique ! nous écrivait M. Arrigo Boito, que de fois j’y ai songé ! Comment ne s’est-il pas trouvé jusqu’ici, à travers six siècles de lecture, un lecteur de la Divine Comédie assez musicien pour sentir la beauté de ce thème et la nécessité de le proclamer !... Prenez-y garde : Dante a créé la polyphonie de l’idée ; ou, pour mieux dire, le sentiment, la pensée et la parole s’incarnent chez lui si miraculeusement, que cette trinité ne fait plus qu’une unité, un accord de trois sons, parfait, où le sentiment, lequel est l’élément musical, prédomine. La divination par laquelle il choisit la parole ; la place que cette parole occupe, ses liens mystérieux avec les vocables, les rythmes, les assonances, les rimes qui précèdent et qui suivent, tout cela, et quelque chose de plus secret encore, donne au tercet de Dante la valeur d’une véritable musique de musicien. Il opère avec les mots le même prodige que votre divin Mozart et mon divin Sébastien Bach opéraient avec les notes, et de la même manière. Mais, des trois, il est le plus divin. Mozart et Bach n’ont pas dépassé la région de leur art ; Dante est monté plus haut que celle du sien... Il a touché, franchi les limites de la connaissance... Dans le cénacle des musiciens in partibus, ce convive-là n’a pas de place. Il est trop grand. Un seul serait digne de s’asseoir au pied de son lit tricliniaire : c’est Léonard, ce magicien qui savait tout, lui aussi, et qui dépassa, lui aussi, les connaissances de son siècle et presque du nôtre. »

Voilà, n’est-ce pas, des paroles assez éloquentes, et plutôt que d’y ajouter rien et de les affaiblir, il n’y avait qu’à les répéter.

Cela, c’est la part de la musique dans la poésie de Dante ; c’est ce qu’on pourrait appeler la musicalité de son génie. Cherchons maintenant ce qui dans le poème dantesque a trait aux musiciens, aux genres musicaux, à l’idée enfin ou à l’idéal que le poète avait de la musique en soi.


III

Il n’y a pas de musique dans l’Enfer de Dante. Serait-ce parce que dans l’Enfer tout est souffrance ? Non pas, et jamais la

  1. Traduction Izoulet.