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du coloris, « Vergine madre, figlia del tuo figlio. » Ainsi commence la première terzine, et dans la transparence de l’accord parfait, à travers la tonalité claire, on voit rayonner la pureté de la « Vierge mère, fille de son fils. » L’oraison continue : les humbles vocables alternent avec les appellations de magnificence, et la musique donne aux unes plus de retentissement, aux autres plus de timidité. « Donna, sei tanto grande e tanto vali ! Dame ! vous êtes si grande et si précieuse ! » Entonnée par les quatre voix tour à tour, l’affirmation monte comme une fanfare ; mais, si la direction du mouvement, la fermeté de l’attaque fait l’apostrophe éclatante, le mode mineur l’attendrit, et la gloire de l’élue apparaît comme tempérée par la modestie de la femme. En cette longue supplique, la musique embellit encore tous les titres que la poésie prodigue à la madone et les vertus dont elle la pare. Bien que mélodique et chantante, cette musique ne consiste guère qu’en des accords. Le style a capella convenait, si même il ne s’imposait, à ce sujet, à ces paroles, et par la recherche même de l’archaïsme, la polyphonie de Verdi est délicieuse ici de spiritualité mystique, comme la mélopée rossinienne est ailleurs, nous venons de le voir, sublime de douloureuse et tragique humanité.


II

« Le poème de Dante est un chant. C’est Tieck qui l’appelle un mystique et insondable chant, et tel est littéralement son caractère... Je donne à Dante ma plus haute louange quand je dis de sa Divine Comédie qu’elle est, en tout sens, essentiellement un chant. Dans le son même qu’elle rend, il y a un canto fermo ; elle procède comme par un chant. Le langage, sa simple terza rima, sans doute l’aidait en ceci. On lit tout du long naturellement avec une sorte de psalmodie. Mais j’ajoute qu’il n’en pouvait être autrement ; car l’essence et la matière de l’œuvre sont elles-mêmes rythmiques. Sa profondeur, et sa passion ravie, et sa sincérité la font musicale. Allez assez profond, il y a de la musique partout... Dante est le porte-parole du moyen âge ; la pensée dont on vivait alors s’élève là, en musique éternelle... Dante, l’homme italien, a été envoyé dans notre monde pour incarner musicalement la religion du moyen âge, la religion de notre moderne Europe et sa vie intérieure. »