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commandement en chef d’une armée. Il n’était pas Prussien : il était de ces Allemands sur lesquels l’État prussien avait exercé sa force d’attraction ; mais cependant déjà, par lui-même et par ses origines, Allemand du Nord et très voisin de la Prusse. Il était né à Rostock, dans une ville qui n’est point encore prussienne. Sa famille appartenait à la classe des possesseurs de biens-nobles du Mecklenburg dont la condition sociale et la vie offraient beaucoup d’analogies avec celles de l’oligarchie prussienne.

Élevé dans des conditions assez modestes, à peu près sans instruction ; livré dès l’enfance à une vie d’initiative débridée et de violence physique, il avait été entraîné un jour, au cours de la guerre de Sept ans, à la suite d’un des régimens de cavalerie suédoise qui guerroyaient, de ce côté, contre Frédéric II. Il était ainsi entré, à seize ans, en 1758, comme Junker, au service de la Suède, à moitié contre le gré de son oncle, chez lequel il résidait. Il n’y demeura pas longtemps. Deux ans plus tard, en 1760, il passa, par un procédé d’une brusquerie originale, et avec la parfaite indifférence des existences aventureuses de ce temps pour le sentiment national, au service de la Prusse contre laquelle il venait de faire ses premières armes. L’audace du jeune Junker suédois avait attiré l’attention des hussards prussiens qui se rencontraient presque journellement, sur ce théâtre d’opérations secondaires, avec la cavalerie suédoise. C’étaient les hussards prussiens de Belling, un chef de partisans actif et audacieux. Dans l’une de ces fréquentes escarmouches, un grand hussard prussien rencontra le jeune Blücher désarçonné, le saisit d’une poigne vigoureuse et le transporta en travers de sa selle au camp prussien. Il y resta : il paraît qu’au temps de la gloire de Blücher plus d’un vieux hussard se vanta d’avoir ainsi amené à la Prusse un de ses plus grands généraux. Beaucoup se présentèrent à Blücher qui les accueillait tous également bien et les faisait asseoir à sa table. « Si ce n’est point celui qui m’a pris, » disait-il, « c’est toujours un vieux hussard. » De fait, les scrupules de Blücher ne le gênèrent pas pour échanger le rôle de prisonnier contre celui de transfuge ; il se borna à demander que, pour compenser la perte que sa défection causait aux hussards suédois, on leur renvoyât un de leurs officiers prisonniers. Le prestige de Frédéric II et de l’armée prussienne le retinrent au service de la Prusse, et Belling devint son protecteur Blücher ne prit point part aux grandes actions de la guerre de Sept ans