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qu’aucune autre. Il y avait des Prussiens un peu partout : fort peu à l’armée des souverains, davantage à l’armée de Silésie. Il y en avait beaucoup à l’armée du Nord dont on avait confié, par compensation, le commandement à l’un des anciens maréchaux de Napoléon, à Bernadotte. L’armée de Silésie était surtout russe par ses troupes ; elle était prussienne par ses chefs et par son état-major. Cet état-major était devenu le refuge, et l’on pourrait presque dire, depuis la mort de Scharnhorst, l’unique refuge du parti des patriotes prussiens. Aussi inspirait-il au grand quartier général, à l’entourage des souverains, particulièrement aux directeurs de la politique autrichienne, les plus vives méfiances. L’ardeur intempérante et concentrée de ces audacieux, heurtait les habitudes d’esprit de Metternich ; les visées occultes, les arrière-pensées politiques qu’il leur supposait l’inquiétaient.

Ce n’était pas sans discussion que le commandement de l’armée de Silésie avait été confié à Blücher. Son autorité militaire avait été ébranlée par la bataille de Bautzen. Son ancienneté et ses longs services, — peut-être aussi l’influence posthume de Scharnhorst, — la nécessité de faire quelque place aux Prussiens l’avaient poussé au commandement. Les Autrichiens avaient tenté de réduire l’armée confiée à sa direction à un petit noyau de 50 000 hommes. Ce fut seulement en dernier lieu qu’on se résolut à lui en laisser 80 000. Encore cette armée de 80 000 hommes, palladium de la nationalité allemande, était-elle en grande majorité formée de soldats russes. On avait cherché à écarter de l’état-major silésien et à disperser le groupe suspect de patriotes qui avait commencé, durant la campagne de printemps, à se former autour de Blücher. C’est ainsi que, malgré son désir, le chef de l’armée de Silésie n’avait pu obtenir d’avoir auprès de lui, ni Clausewitz, que le roi avait refusé de réadmettre dans l’armée prussienne, ni Grolmann, que l’on avait retenu à l’armée des souverains En revanche, on y avait introduit quelques témoins des tendances du grand quartier général, destinés à surveiller ce foyer inquiétant. Le chef de l’état-major de l’armée de Silésie n’avait pas été choisi par Blücher. C’était un représentant de l’entourage direct de Frédéric-Guillaume III ; c’était Müffling, le type de l’officier d’état-major consciencieux et expert, aussi mesuré que Gneisenau était audacieux : le philosophe de Weimar, comme l’appelait Blücher. Il avait l’esprit assez ouvert pour juger les travers du milieu exubérant où il vivait, assez fin pour