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Si l’on veut rechercher quel fut, dans cette année, l’acte décisif de la Prusse, ce fut, nous pensons l’avoir montré ailleurs, d’avoir constitué en quelques mois, au seuil du XIXe siècle, par un effort national qui n’a jamais été surpassé, une armée nouvelle ; sinon la première armée nationale, — l’honneur en revient à la Révolution française, — du moins la première armée du service obligatoire. C’est le fait capital, décisif, de l’histoire de Prusse en 1813 ; on peut dire de l’histoire d’Europe ; car il a dominé par ses conséquences toute l’évolution historique de la fin du XIXe siècle.

Après la campagne du printemps, l’armistice avait donné à la Prusse le temps de former une armée d’opérations de 160 000 hommes, d’inaugurer un mode de recrutement nouveau, d’organiser ses landwehrs. Elle a déjà pris par-là, numériquement, une part considérable aux événemens de 1813. Son contingent, presque égal à celui des Russes, supérieur à celui des Autrichiens, était, dès le début, hors de proportion avec son étendue territoriale et sa population. Mais elle n’était qu’un des élémens de la coalition européenne où son gouvernement n’avait qu’une faible part d’influence et d’autorité. A côté de l’importance numérique de ses effectifs, à côté de la faible action de son souverain et de ses ministres dans les conseils de l’Europe, quelle est, autant qu’on peut l’apprécier, la valeur morale du concours qu’elle a apporté à la coalition européenne en 1813 ? Quel a été, dans les événemens de 1813, le rôle de la première armée du service obligatoire et des Prussiens qui l’avaient créée ? C’est dans l’histoire même de la campagne d’automne que se trouve la réponse.


I. — L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE SILÉSIE. BLÜCHER ET GNEISENAU

Lorsque s’ouvrit, au milieu d’août, la campagne d’automne, Napoléon, dans le réduit qu’il s’était constitué à Dresde, était cerné par trois armées coalisées : l’armée du Nord, l’armée de Bernadotte, groupée en avant de Berlin ; — l’armée de Bohême, rassemblée au Sud de l’Erzgebirge ; — l’armée de Silésie à l’Est.

La formation de ces armées avait été fort compliquée par les difficultés politiques d’une coalition qui embrassait l’Europe presque entière. On avait eu pour préoccupation dominante de disperser les nationalités, la nationalité prussienne plus