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au quartier des bayadères et des courtisanes. Au-dessus des mille petites échoppes où les marchands de mousselines pailletées, de mousselines dorées et peintes, viennent d’allumer leurs lampes, tous les étages supérieurs des maisons, d’un bout à l’autre de la rue, appartiennent aux créatures de caresses et de ténèbres ; elles commencent de se montrer, à leurs fenêtres, à leurs balcons, très barbarement parées pour la grande prostitution du soir ; derrière elles, on aperçoit leurs logis éclairés, avec une profusion enfantine de girandoles et de verroteries retombant des solives, et, sur les murs blanchis à la chaux, des images de Ganesa, d’Hanuman ou de la sanglante Kali. A leurs bras nus, à leurs oreilles, à leurs narines, brillent des anneaux et des pierreries ; des colliers de fleurs naturelles, aux parfums qui entêtent, descendent en plusieurs rangs sur leur gorge. Elles ont les mêmes yeux de velours, et sans doute aussi les mêmes chairs de bronze et d’ambre, que ces inapprochables filles de Brahmes qui se dévoilent le matin au bord du Gange, et dont elles pourraient donner l’illusion, dans l’étreinte…


XII. — UN BANC SUR LEQUEL BOUDDHA S’EST ASSIS

Mon ami le Pandit m’emmène aujourd’hui faire une excursion à la campagne, pour voir un banc sur lequel Bouddha s’est assis. Et, chemin faisant, nous causerons d’ésotérisme, dans le silence champêtre.

Campagnes de Bénarès, campagnes solitaires, paisibles, pastorales, avec des champs d’orge et des champs de blé ; à part que les moissons, en février, sont déjà mûres, et que les arbres sont verts, on dirait un peu nos plaines de France. Des pâtres, en gardant leurs zébus, leurs chèvres, leurs buffles, jouent de la musette et du chalumeau. Aux coins des bois, il y a de très vieilles pierres sacrées, sur lesquelles, en passant, quelque pieux laboureur a jeté une guirlande d’œillets jaunes ; elles ont représenté jadis Ganesa ou Vichnou, dont elles conservent encore l’informe ressemblance. Des oiseaux, des oiseaux de belles couleurs, ceux-ci bleu turquoise, ceux-là vert émeraude avec une huppe rouge, viennent en confiance se poser tout près de nous, se laissent regarder, n’ayant aucune peur de l’homme, puisqu’il ne tue pas. Et, sur tout ce pays, des tranquillités religieuses semblent planer.

Çà et là gisent des amas de ruines et de tombeaux, qui sont