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sol, se mêlent à l’épaisse poussière des ans, et on piétine la fiente de ces vaches sacrées qui, après avoir erré tout le jour dans les foules, rentrent quand le soir tombe. Le lieu est aussi un rendez-vous pour les pèlerins qui viennent au sanctuaire : pieux ermites des solitudes d’alentour, purs yoghis au beau visage d’inspiré et à la robe couleur d’aurore, tous gens couverts de chapelets et de coquilles, y stationnent à l’abri d’un kiosque de granit, élevé à leur usage dans les temps anciens. Et autour d’eux s’asseyent les habitues » de la place, les fakirs mendians, les fakirs épileptiques, les squelettes terreux au regard de fièvre, les lépreux qui, pour avoir l’aumône, vous tendent des mains toutes rongées n’ayant plus de doigts… Ces êtres par trop immobiles, ces masques figés sous une couche de cendre ou de poudre jaune, et dont toute la vie s’est concentrée dans les prunelles, ce sont eux surtout qui répandent aux abords de ce temple la vague horreur dont on ne se défend pas ; quand une fois on est passé dans le champ du regard de certains vieux fakirs, aux cheveux déroutans noués en haut chignon de femme, on se sent poursuivi, on n’oublie plus.

Aucun profane ne saurait pénétrer dans le Temple d’Or. Mais, en face de la porte, il est permis de monter dans une antique maison de prêtres, qui n’en est séparée que par une ruelle étroite ; là, chaque matin et chaque soir, on fait au Dieu de la Mort une funèbre musique, accompagnée par des tamtams géans, et le balcon où s’installent les sonneurs de trompe est un des rares points où l’on ait vue, et de tout près, sur les folles richesses des dômes. Il y en a trois. L’un, en marbre noir, représente un amas de dieux groupés en pyramide. Les deux autres sont entièrement en or, en épaisses plaques d’or repoussées et ciselées ; ils en donnent d’ailleurs parfaitement l’impression extraordinaire : aucune dorure, aucun artifice n’arriverait à cet éclat inimitable de l’or épais et sans alliage, que les siècles n’ont pas su ternir. Et des familles de perruches, que l’on ne dérange jamais, bien entendu, ont bâti leurs nids dans les creux de ces orfèvreries ; parmi les fleurs d’or et les feuillages d’or, on les voit circuler comme chez elles, nombreuses, empressées, — et vertes, plus vertes que nature, semble-t-il, sur ces fonds sans prix.


Presque toutes les rues viennent aboutir au Gange, et là, elles s’élargissent, elles s’éclairent ; là, c’est tout à coup la