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extérieur, qui vient de la rue étroite. Et mon interprète, — un paria d’origine, qui ne pourrait entrer ici sans profanation, — se tient sur la plus haute marche du dehors, apparaît au second plan dans l’encadrement de la porte ; sa voix, lorsqu’il traduit, arrive presque de loin à travers la sonorité tranquille du soir ; entraîné par le feu de la traduction, s’il s’oublie jusqu’à poser un pied en dedans du seuil, mon hôte, — qui n’est point affilié aux théosophes et ne transige pas sur la question des castes, — le rappelle aux convenances millénaires, et alors il recule sans dépit.

Du haut de cette terrasse on ne voit guère que les murs caducs d’alentour, au crépissage fendillé par le soleil, et les essaims de corbeaux en mouvement dans l’air, — mais il y a aussi une chose merveilleuse, qui surgit là tout près, au milieu de ces vieilleries et de ces ruines, une pièce d’orfèvrerie incomparable dont les reliefs arrêtent les derniers reflets du couchant, et sur laquelle, à cette heure, s’assemblent des perruches : l’un des dômes du « temple d’or. »

Je viens quelquefois visiter le vénérable Pandit, dans sa demeure dont la seule richesse est une bibliothèque de livres et de manuscrits centenaires. On est ici dans la partie la plus ancienne et la plus sainte de Bénarès, — très loin de ces quartiers nouveaux qui se banalisent odieusement et où passe le grand niveleur universel : le chemin de fer. Et les ambiances, nullement dérangées encore, agissent sur l’esprit comme dans le vieux temps ; on est baigné dans cette mystique atmosphère de Bénarès qui porte au recueillement, qui ramène sans cesse la pensée vers la mort terrestre et les choses d’au-delà. Ainsi que l’admettent les Sages de la maison blanche, il est des lieux privilégiés ; il est des villes, — Bénarès, La Mecque, Lhassa, Jérusalem, — encore tellement imprégnées de prière, malgré l’invasion du doute moderne, que l’on y est plus qu’ailleurs libéré d’entraves charnelles, et plus près de l’infini. Même la magnificence des temples, disent-ils, même la pompe des cérémonies, ont leur action sur les âmes. Rien de tout cela n’est indifférent.


X. — AU HASARD, DANS BÉNARÈS

En quittant la maison des Sages, — où, dans le silence entrecoupé de chants d’oiseaux, de très nouvelles et terrifiantes notions