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Pour eux, le seul « moyen de salut public » était l’abdication. On arriva à en parler, d’abord implicitement. Thibaudeau demanda qu’il fût posé en principe que l’on sacrifierait tout pour la patrie, sauf la liberté constitutionnelle et l’intégrité du territoire. Cette motion, qui impliquait que l’on était prêt à sacrifier l’Empereur, fut votée à une voix de majorité. L’un des députés proposa ensuite d’envoyer au quartier général ennemi des négociateurs au nom des Chambres, puisque les puissances ne voulaient pas traiter avec Napoléon. Seul de ses collègues du Cabinet, Fouché appuya cette motion. Les autres ministres, retenus par un reste de pudeur, objectèrent que ce serait prononcer de fait la déchéance. La proposition fut repoussée, puis reprise et votée par seize voix contre cinq, grâce à ce correctif illusoire que les plénipotentiaires des Chambres seraient nommés avec le consentement de l’Empereur.

La discussion avait échauffé les esprits. La Fayette jugea le moment opportun pour aborder ouvertement le sujet de l’abdication. Lucien l’interrompit : « Si les amis de l’Empereur, dit-il, avaient cru son abdication nécessaire au salut de la France, ils auraient été les premiers à la lui demander. » « C’est parler en vrai Français, reprit La Fayette. J’adopte cette idée. Je demande que nous allions tous chez l’Empereur lui dire que son abdication est devenue nécessaire aux intérêts de la patrie. » Malgré l’insistance de Flaugergues et de Lanjuinais, Cambacérès se défendit de mettre aux voix « une motion de cette espèce. » On se sépara à trois heures du matin, avec la certitude que le jour qui se levait verrait la chute de Napoléon.


HENRY HOUSSAYE.