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élut Boissy d’Anglas, Thibaudeau et les généraux Drouot, Dejean et Andréossy.

Lucien retourna à l’Elysée. L’Empereur avait dîné seul, en présence de la princesse Hortense. L’animation qu’il avait montrée tout le jour cédait à la fatigue physique. Il était triste et abattu, causait peu ; sa pensée flottante semblait incapable de se fixer pour une décision quelconque. Tantôt il déclarait vouloir user de ses droits constitutionnels contre la Chambre insurgée, tantôt il parlait d’en finir tout de suite par une seconde abdication. Hortense lui ayant conseillé de prendre des sûretés en écrivant à l’Empereur d’Autriche, ou au Czar, il dit avec force : « Jamais je n’écrirai à mon beau-père. Je lui en veux trop de m’avoir privé de ma femme et de mon fils. C’est trop cruel ! Alexandre n’est qu’un homme ; si j’en suis réduit là, j’aime mieux m’adresser à un peuple, à l’Angleterre. » Lucien lui rendit compte de sa mission sans rien dissimuler des sentimens ouvertement hostiles, presque haineux, de l’Assemblée. « La Chambre, conclut-il, s’est prononcée trop fortement pour qu’il y ait espoir de la ramener. Dans vingt-quatre heures, l’autorité de l’Empereur ou celle de la Chambre doit avoir cessé. Il n’y a que la dissolution ou l’abdication. » C’était aussi l’avis de Bassano et de Caulaincourt, présens à l’entretien. Mais, tandis que Lucien insistait énergiquement pour un coup de force, les deux ministres conseillaient le parti contraire avec une égale fermeté. Ils insinuèrent même que si l’Empereur tardait trop à se soumettre, on prononcerait sa déchéance. « Ils n’oseraient ! » dit Napoléon avec un accent qui décelait plus de doute que de conviction.

Cette journée, déjà si remplie, n’était pas terminée. A onze heures, les princes Joseph et Lucien, tous les ministres et les dix délégués des Chambres se réunirent sous la présidence de Cambacérès dans la grande salle du Conseil d’Etat aux Tuileries. Les ministres n’avaient eu ni le temps ni la liberté d’esprit de méditer « les moyens de salut public, » qui devaient faire l’objet de la délibération. Leur embarras était extrême. Pour dire quelque chose, ils déclarèrent que les ministres d’Etat proposeraient à la Chambre les mesures propres à fournir des hommes et de l’argent et à contenir les ennemis de l’intérieur. On approuva à l’unanimité cette vague déclaration, bien qu’elle fût loin de répondre à l’attente de La Fayette et de ses collègues de la Chambre.