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différenciés et les moins parfaits. La mort apparaît, ainsi, comme un singulier privilège attaché à la supériorité organique, comme la rançon d’une savante complexité. — Au-dessus de ces êtres élémentaires, monocellulaires, indifférenciés, qui sont soustraits à la léthalité, on en trouve d’autres, déjà plus élevés en organisation, qui y sont assujettis, mais chez qui la mort ne semble qu’un accident, évitable en principe, sinon en fait. Les élémens anatomiques des animaux supérieurs sont dans ce cas. — Flourens, autrefois, avait entrepris de nous persuader que le seuil de la vieillesse devait être considérablement reculé, et voici que des naturalistes nous font entrevoir aujourd’hui une sorte de vague immortalité.

Il paraîtra donc convenable que nous entraînions notre lecteur dans l’examen de ces questions renouvelées, sinon nouvelles, et que nous nous expliquions sur ce qu’est la mort, au regard de la physiologie contemporaine, sur ses causes, ses mécanismes et ses signes.


I

Un philosophe anglais a prétendu que le mot que nous traduisons par Cause n’a pas moins de soixante-quatre sens distincts dans Platon et quarante-huit dans Aristote. — Le mot de Mort n’en a pas autant, dans le langage moderne : mais il en a encore beaucoup. Les phénomènes qu’il désigne sont, aux yeux de beaucoup de biologistes, tout à fait différens, suivant qu’on les envisage chez un animal d’organisation complexe, ou, au contraire, chez les êtres monocellulaires, protozoaires et protophytes. Il faut distinguer la mort des élémens anatomiques de celle de l’individu envisagé dans sa totalité, et reconnaître une mort élémentaire et une mort générale, comme l’on reconnaît déjà la vie élémentaire et la vie générale. — A un autre point de vue, on a aussi à envisager la mort apparente (vie latente) et la mort réelle. A mesure qu’on analyse davantage, on voit se multiplier les catégories et les espèces.

Que serait-ce si nous sortions du domaine scientifique ! En dehors de la solution donnée au problème de la mort par les croyances religieuses, nous verrions se heurter sur ce point toute la diversité des doutes philosophiques et des superstitions. « Un saut dans l’inconnu, » dit l’un. « Une nuit sans rêves et