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troubadours qui le visitèrent. Ce qui est certain c’est que, dès le début de ce siècle, la poésie provençale était connue en Portugal et que pendant une centaine d’années au moins, toutes les formes en furent passionnément imitées par les grands seigneurs des cours de Sanche II, Alphonse III et Denis, qui fut lui-même l’un des plus adroits parmi ces imitateurs. Cette floraison fut du reste beaucoup plus riche qu’originale : les trobadores galiciens ne sont, comme les trouvères du Nord, que de simples traducteurs et, dans les innombrables chansons qu’ils nous ont laissées, il n’y en a peut-être pas une qui ne soit un centon.

Mais ces poètes, quoique entichés de formes savantes, eurent l’idée originale et charmante de se pencher vers la poésie populaire et de sauver de l’oubli, en les remaniant pour les lettrés, quelques-uns des genres qui y vivaient, peut-être depuis des siècles. Quelque chose d’analogue avait été tenté dans la France du Nord, mais avec des soucis littéraires dont l’excès dénatura complètement les genres auxquels il eût fallu toucher d’une main légère et respectueuse : nos « pastourelles, » nos « chansons d’aube » et de « mal mariées, » le plus souvent alambiquées ou licencieuses, ne sont que des paysannes d’opéra-comique, minaudières ou provocantes. En Portugal, au contraire, ces cantigas d’amigo, que les poètes courtois plaçaient dans la bouche de naïves filles du peuple, — chansons de danse, de pèlerinage, de séparation, etc., — sont parfois de petites merveilles d’ingénuité, de grâce naïve ou mutine : il semble bien que dans quelques-unes nous soyons aussi près que possible de la source populaire, et ce n’est pas une médiocre surprise que de retrouver, dans les énormes bouquets de fleurs artificielles que sont les Cancioneros, quelques fraîches primevères, dont l’éclat nous paraît, grâce à ce contraste, plus vif encore et le parfum plus suave.

Mais ce n’était là qu’un heureux accident. En Portugal comme dans la France du Nord, la poésie courtoise n’a pas, pour ainsi dire, d’existence propre : elle n’est que le reflet d’une lumière elle-même bien pâlie. En Allemagne et en Italie au contraire, comme si la transplantation l’avait rajeunie, elle poursuivit, avec une aisance et une liberté qu’elle n’avait jamais connues, le développement interrompu dans son pays d’origine. Non point qu’il n’y ait eu, là aussi, une longue période de maladroites et stériles imitations et une ardente production d’œuvres mort-nées ; là aussi, en effet, la plupart des poètes n’étaient que des dilettantes