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de Sardaigne, la plupart des petits princes italiens, la fine fleur de la diplomatie, et au milieu d’elle le prince de Metternich. « Je suis fort aise de me trouver ici, écrit-elle. C’est une réunion plus intéressante peut-être que toutes les précédentes. La partie féminine est faible,… je suis seule de mon espèce. La durée du Congrès est incertaine ; on calcule sur quatre semaines ; mais je crois que c’est trop modeste ; nous ne le coulerons probablement pas à fond ; notre départ suivra de près celui du duc de Wellington. »

Malgré ces velléités de prochain départ, elle résidait encore à Vérone au commencement de décembre, bien loin de se plaindre de la longueur de son séjour. C’est de là que, le 1er décembre, elle mande à son frère ses impressions sur les personnages parmi lesquels elle vit, sur Metternich notamment, dont elle n’avait jamais tant parlé et dont, tout en avouant qu’elle le connaissait déjà, elle parle comme si leur intimité venait seulement de se nouer et ne datait pas de plusieurs années. En revanche, ni dans la lettre qui suit, ni dans aucune de celles qu’elle écrit de Vérone, pas un mot de Chateaubriand, qui représentait la France au Congrès ; pas un mot de Mme Récamier. Elle ne semble avoir été frappée ni par le prestige de l’un, ni par la beauté de l’autre, et c’est bien là ce que le grand homme ne lui a pas pardonné. S’il s’est exprimé sur elle avec tant d’amertume et de raillerie, c’est qu’il avait à se venger de n’être pas parvenu à l’éblouir.

… « Nous voici depuis deux mois au milieu du Congrès. L’Europe est intéressante et le cercle dans lequel je vis m’a mise dans des rapports tout à fait satisfaisans pour ma curiosité et mes goûts. Tous les soirs, le Congrès se réunit chez moi[1] ; le comte Nesselrode et le prince Metternich m’ont demandé cela comme nécessaire pour eux, et j’y trouve tous les avantages, parce que cela me vaut la société quotidienne des personnes les plus remarquables par le rôle qu’elles jouent en Europe, et par leur agrément personnel.

« Je connaissais beaucoup déjà ce prince de Metternich par diverses rencontres que nous avions eues ; ici, je me suis beaucoup liée d’amitié avec lui. Le duc de Wellington, en Outre, qui est ma plus solide et ma plus intime connaissance de

  1. A la même date, Metternich écrit à sa femme : « Mme de Liéven est ici ma seule ressource en fait de société. Je passe presque toutes mes soirées chez elle, et la plupart des membres du Congrès suivent en cela mon exemple. »