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que l’on appelât les douze chefs de légion et qu’il leur fût enjoint de mettre chacun un bataillon sous les armes afin de protéger la représentation nationale. Le général Sorbier répliqua que l’on devait procéder régulièrement et s’adresser à Durosnel. L’ordonnateur Lefebvre, membre de la commission administrative de la Chambre, ferma la discussion en assurant que lui et ses collègues venaient d’inviter officiellement le général Durosnel à envoyer 500 grenadiers. Un autre membre de la commission, Gamon, ajouta que déjà était arrivé un bataillon de garde nationale qui faisait le service autour du palais.

Durosnel n’était pas responsable de cette prise d’armes insolite. Le chef d’état-major de la garde nationale, Tourton, grand ami de Fouché, se trouvait au Corps législatif quand La Fayette avait fait sa motion. Sans tarder, il avait insinué à Benjamin Delessert, qui cumulait le mandat de représentant avec le grade de chef de la 3e légion, qu’il serait « peut-être bon de prendre les mesures que commandait l’intérêt public. » Delessert quitta la Chambre incontinent, alla revêtir son uniforme, et après s’être concerté avec Billing, son chef d’état-major, il fit de sa propre autorité battre le rappel dans le quartier des Petits-Pères. Environ quatre cents gardes nationaux s’assemblèrent ; il leur dit que la représentation nationale étant menacée, ils avaient mission de la protéger. Les gardes, croyant marcher en vertu d’un ordre régulier, s’acheminèrent sans objection vers le Palais-Bourbon ; Delessert les rangea en bataille devant les grilles, face au pont de la Concorde et leur fit même distribuer des cartouches.

C’était un excès de précaution, car pour être redoutable la foule qui grossissait aux abords du Corps législatif était d’opinion trop divisée. D’ailleurs il lui manquait un chef ou un mot d’ordre. Tel groupe de curieux où les bourgeois et les boutiquiers se trouvaient en majorité approuvait la conduite des représentans. Ils pensaient que la Chambre, en se déclarant si résolument contre l’Empereur, l’allait contraindre à une nouvelle abdication, qui aurait pour conséquences la paix et la reprise des affaires. Avec le roi, que quelques-uns désiraient en secret et que d’autres se résignaient déjà à accepter, on aurait du moins la tranquillité ! Ils jugeaient comme à la Bourse, où l’on saluait par une hausse de deux francs le plus cruel désastre qu’eussent éprouvé les armes françaises. Ces sentimens avaient dominé autour du Palais-Bourbon pendant une partie de l’après-midi,