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royale, les ministres, tout ce qui compte on Angleterre, témoigne à la jeune ambassadrice sympathie et respect. Mais tant de motifs de se plaire à Londres ne l’empêchent pas d’observer autour d’elle les habitudes, les tendances, les mœurs, de voir tout ce qui manque à cette société où elle occupera bientôt une si grande place et dont elle ne saisit encore que les défauts et les inconvéniens. Voici comment elle la juge au bout de dix mois (6 août 1813) :

« Cette belle Angleterre est toujours la même chose ; c’est une chaîne de perfections, mais qui ne frappent que votre raison et qui sont muettes pour votre imagination. Je vous accorde deux mois d’engouement, parce qu’en effet tout est beau ici, et puis si extraordinaire, que votre curiosité et votre admiration sont sans cesse en jeu. Mais, lorsqu’on a tout vu, lorsqu’on est fatigué d’admirer, on veut sentir et ce n’est point le pays des émotions. Mon individu devrait se trouver heureux ici ; j’y suis sous des auspices si belles (sic), on m’y reçoit comme jamais aucune étrangère ne l’a été ; personnellement même, je crois que j’y réussis, mais, je ne voudrais pas mourir dans ce pays. Je suis toujours étonnée de l’anglomanie qu’ont prise tant de mes compatriotes. Il y a de quoi se dégriser lorsqu’on vit avec les Anglais. Je vous en parle trop ; j’ai assez de leur vue et j’aime mieux songer à l’outre-mer. »

Ce sont là des impressions de début, que ne tarderont pas à corriger le temps, un contact plus fréquent avec l’aristocratie anglaise, les amitiés qu’elle y contractera. Nous la verrons subir alors la contagion de cette anglomanie qu’elle critique chez ses compatriotes, la subir à ce point que, lorsque après vingt ans de séjour en Angleterre, elle en devra partir pour rentrer en Russie, elle sera littéralement au désespoir. Mais, il s’en faut de beaucoup que tel soit son état d’âme durant les premiers temps de son séjour. Le charme n’opère pas encore. Elle est dans une période d’étude, d’observation et de défiance, singulièrement troublée d’ailleurs par les tragiques péripéties qui se déroulent sur le continent, auxquelles elle assiste de loin, en s’associant aux anxiétés et aux angoisses que ressentent à cette heure les gouvernemens et les peuples.

Sa conduite et ses paroles témoignent de beaucoup d’énervement et d’impatience. Les défaites de Napoléon, la prise de Paris, l’abdication de 1814, la comblent de joie et d’orgueil ; elle en