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devant la responsabilité. « Le moment d’agir est passé, dit-il. La résolution des représentans est inconstitutionnelle, mais c’est un fait consommé. Il ne faut pas se flatter, dans les circonstances présentes, de refaire un 18 brumaire. Pour moi, je me refuserais d’en être l’instrument. » Le droit passait du côté de ceux qui avaient violé la loi. Napoléon, une heure auparavant en possession de tous les pouvoirs légaux, était constitutionnellement désarmé.

Après un instant de rêverie, l’Empereur dit : « Je vois que Regnaud ne m’avait pas trompé. J’abdiquerai s’il le faut. » Mais s’apercevant, au visage de ses ministres qui se détendait, bien qu’ils s’efforçassent de garder leur mine contrite, qu’il s’était en quelque sorte condamné par cet aveu d’impuissance, il ajouta vivement : « Cependant, avant de prendre un parti, il faudra voir ce que tout ça deviendra. » Puis il enjoignit à Regnaud de retourner à la Chambre pour calmer les représentans et se rendre compte de leur esprit. « Vous leur annoncerez, dit-il en substance, que l’armée, après de grands succès, a été prise de panique ; qu’elle se rallie ; que je suis venu à Paris pour me concerter avec mes ministres et avec les Chambres sur les moyens de rétablir le matériel de l’armée, sur les mesures législatives qu’exigent les circonstances ; que le Conseil est réuni pour s’occuper des propositions à présenter aux Chambres. » Cette déclaration rédigée à la hâte et transcrite en double, l’Empereur chargea Carnot d’en donner lecture à la Chambre des pairs en même temps que Regnaud la communiquerait à la Chambre élective. Ce n’était là encore qu’un prétexte à temporiser. L’esprit de la Chambre, l’Empereur ne le connaissait que trop par tout ce qu’on lui en disait depuis le matin, et par la résolution qu’elle venait de prendre. Et, raisonnablement, il ne pouvait espérer qu’un message si embarrassé eût la moindre action sur les représentans.

La Chambre écouta le porte-paroles de l’Empereur avec convenance mais avec un silence de glace qui était une manifestation. Avant de quitter la tribune, Regnaud, assez maladroitement, car le document n’était certes pas de nature à réchauffer les cœurs, proposa de lire le bulletin de la bataille ; il avait une épreuve du Supplément au Moniteur où allait paraître cette relation. « Quand on attend, s’écria un député, les renseignemens officiels que doivent donner les ministres, il paraît peu convenable que la