Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malhonnête dans ses propos, mais il est honnête dans sa conduite, puisqu’on rapporte chaque année à la Préfecture de police près de 39 000 objets, oubliés dans les fiacres, omnibus et tramways, et que les modestes auteurs de ces actes de probité, souvent admirables, ne sont pas invités à les accomplir par l’attrait de gratifications qui s’élèvent en bloc à 3 000 francs.

Le cocher n’est pas un salarié ; il commence et finit sa journée aux heures qui lui plaisent, se repose quand il veut, et ne subit point de chômage. Autrefois, il versait à la Compagnie, ou au loueur qui l’employait, le montant intégral de sa recette, déduction faite des pourboires, qui, joints à une paye fixe de 4 francs, constituaient sa rémunération. C’était le travail « à la feuille. » Le cocher devait inscrire le détail journalier de ses opérations sur un tableau qu’il remettait à son patron.

Pour obvier aux fraudes possibles, on lui défendait de charger un voyageur en dehors des stations, où l’heure de son départ était pointée par un agent spécial. D’autres agens notaient, à la volée, les numéros des fiacres occupés qui passaient en certaines rues, Les compagnies avaient aussi un contrôle occulte : à toute personne qui, ayant arrêté une voiture sur la voie publique, — condition requise, — faisait part à un bureau intermédiaire du temps qu’elle l’avait gardée, des lieux où elle l’avait prise et quittée, il était alloué une réduction de 1 fr. 25, par chaque heure et demie qu’elle avait payée. L’intermédiaire transmettait ces renseignemens à la Compagnie et, si le travail signalé se trouvait omis sur la feuille des cochers, il recevait, pour sa peine, une part de l’amende infligée à ces derniers, laquelle variait de 25 à 60 francs.

Désireux de se soustraire à cette surveillance, un certain nombre d’automédons offrirent de payer à forfait une somme fixe, supérieure de 1 fr. 50 à la « moyenne » que faisaient ressortir, pour le jour précédent, les indications de leurs camarades. Ceux-ci les imitèrent à leur tour ; ce qui prouve qu’ils y avaient avantage, soit que les « feuilles » ne fussent pas toujours très sincères, soit que la liberté absolue permît de réaliser des recettes plus fortes. Les patrons y trouvèrent aussi leur profit, parce que le système nouveau éliminait les paresseux qui, assurés d’une paye modique, pouvaient impunément s’immobiliser aux stations sans rien faire. L’importance de la recette dépend en effet de l’habileté du cocher, de son caractère, de son