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900 ouvriers de divers corps d’état sont chargés de remettre perpétuellement à neuf, en été les coupés, les mylords en hiver ; car il n’existe que deux modèles, dont toutes les pièces, pour plus de simplification, sont interchangeables. L’ancienne voiture à quatre places a presque disparu. Au lieu des 1 800 qu’elle possédait naguère, la Compagnie n’en a plus que douze ; les cochers refusaient de les conduire parce qu’ils n’y gagnaient pas leur vie.

De-ci, de-là, renversés ou sur des tréteaux, gisant sur le sol, le dos ouvert, de vieux fiacres semblent bien malades ; leurs essieux sont forcés, leurs coussins montrent la corde ; leur caisse, lavée par les pluies, après tant de cahots et de chocs, aspire au repos. Pourtant elle est solide encore, elle usera bien une jeune paire de roues, qui sort du charronnage, les rais assemblés et châtrés en un clin d’œil par des machines d’invention américaine. Le monteur lui pose des ressorts, envoyés par la forge, le tapissier la garnit à neuf ; demain, la peinture lui rendra le prestige de la fraîcheur. Ainsi soignée et opérée, elle filera de nouveau par les rues, portera les malades au médecin, les amoureux au rendez-vous, les remisiers à la Bourse, les étrangers aux musées, les bourgeois au Bois de Boulogne ; elle entendra bien des projets, bien des plaintes, bien des confidences, bien des colères, et que d’haleines terniront ses vitres, jusqu’à ce qu’elle rentre ici pour ressusciter encore !

Les cochers se renouvellent plus souvent que leurs voitures. Sur les 4 000 dont se compose le personnel, 600 ont moins d’un an, 1 800 de 1 à 5 ans, et 700 de 6 à 10 ans de présence. Plus des trois quarts de l’effectif n’est donc en fonction que depuis une dizaine d’années, et 250 seulement sont depuis plus de 20 ans au service de la Compagnie. Sans doute il en est davantage qui occupent pendant 20 ans le siège ; beaucoup vont d’un loueur à l’autre et quelques-uns deviennent patrons à leur tour. Mais le plus grand nombre, lorsqu’ils ont réalisé des économies, préfèrent un métier sédentaire aux risques d’une voiture qui leur appartiendrait en propre ; ils se font marchands de vins et vieillissent derrière leur comptoir.

Les vieux cochers sont rares : 200 seulement, sur 4 000, ont dépassé la soixantaine ; leur doyen médaillé, qui vient en tête de la liste, est septuagénaire et tient les guides depuis 44 ans ; 600 ont de 50 à 60 ans d’âge, tandis que 1 000 ont moins de 30 ans, et 1 300 de 30 à 40 ans.