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antimilitaristes que de la détresse des paysans du royaume de Naples et de la Sicile, sont opposés à toute intervention. Le député Morgari, récemment envoyé à Tripoli par le journal socialiste l’Avanti, en est revenu avec des conclusions optimistes ; il paraît croire à l’avenir de la colonisation en Tripolitaine et à la facilité de la conquête. Ainsi semble s’établir, parmi les hommes de tous les partis, un courant d’opinion qui pousse à une politique d’annexion et d’expansion.

Mais d’autres mobiles, plus impérieusement quoique peut-être plus inconsciemment, agissent sur l’opinion publique. Les peuples, et les latins en particulier, cèdent plus volontiers encore aux entraînemens de leurs passions qu’aux suggestions de leurs intérêts. Plus haut que partout ailleurs, sur le sol de la grande péninsule historique, la voix des générations disparues crie aux vivans la gloire d’autrefois. L’Italie, depuis qu’elle a réalisé son unité politique, a retrouvé, dans la poussière de l’histoire, des formules de domination et des traditions de grandeur : elle s’est souvenue que les Romains d’autrefois, en regardant, des deux côtés de la péninsule, les flots de la Méditerranée qui en viennent battre les rivages, disaient : « Mare nostrum, » et que, plus tard, les Vénitiens appelaient l’Adriatique « le golfe de Venise » et couvraient de leurs comptoirs toutes les côtes de l’Orient musulman. Il est impossible, quand on est l’Italie, de n’avoir pas une politique méditerranéenne et des prétentions à faire valoir dans l’un et l’autre bassin de la Mer intérieure. L’Italie, dès qu’elle fut devenue un royaume, connut ces ambitions. C’est comme acheminement à la domination de la Méditerranée, que la possession de la Tripolitaine excite, dans la Péninsule, l’enthousiasme des foules et stimule l’activité des politiques.

L’occupation de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque se lie d’ailleurs, dans les conceptions du parti que l’on appellerait impérialiste, si le mot n’était pas trop gros, à tout un programme d’expansion politique et économique dans la Méditerranée orientale. La Cyrénaïque, avec ses terres ouvertes à la colonisation, avec ses belles rades de Bomba et de Tobrouk, serait, pour la puissance italienne, une position de premier ordre d’où, pour ainsi dire, elle couperait en deux la Méditerranée. Depuis longtemps déjà, les Italiens ont cherché à prendre des hypothèques sur la Tripolitaine, mais c’est surtout depuis la proclamation du Protectorat français en Tunisie, que des missions scientifiques