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désert. Dans notre siècle, où le commerce universel tend à devenir toujours plus rapide et toujours plus spécialisé, les caravanes sont un anachronisme, une survivance d’un passé disparu. Au temps des Phéniciens, des Grecs et des Romains, traverser le Sahara était le seul moyen d’arriver à la Méditerranée et d’y apporter les marchandises de l’Afrique tropicale, et surtout les esclaves ; les bateaux du temps ne permettaient pas d’aller par mer au Congo ou au Niger, dont on ignorait jusqu’à l’existence, et les routes du désert de Libye étaient les seules voies connues et praticables. La pénétration européenne modifie chaque jour les conditions de la vie économique dans l’Afrique du Nord ; en restreignant l’esclavage, elle supprime l’article le plus recherché sur les marchés du Maghreb et du Levant. Malgré nos efforts, les caravanes ne se dirigent plus guère que vers les pays restés musulmans, le Maroc et Tripoli, ou, transversalement, de Tombouctou en Égypte. La prise d’In-Salah par nos soldats a profondément troublé les habitudes des trafiquans musulmans ; l’occupation de Tripoli, de Mourzouk, de Rhadamès et de Rhât par les chrétiens aurait des conséquences plus graves encore ; loin d’aider au relèvement du commerce saharien, elle en précipiterait le déclin. A mesure que les colonies françaises, anglaises, allemandes du Congo et du Soudan seront mises en valeur et exploitées, à mesure que les voies fluviales seront améliorées et des chemins de fer de pénétration construits, les produits de l’Afrique centrale seront dirigés directement vers le golfe de Guinée, d’où ils arriveront en Europe, par bateaux, bien plus vite qu’à dos de chameaux ils ne parviendraient à Tripoli. Ainsi il ne subsistera qu’un faible mouvement d’échanges, rendu nécessaire par le ravitaillement des oasis et des tribus nomades et l’exportation de quelques produits spéciaux, propres aux oasis, comme les dattes. Quant au commerce transsaharien par caravanes, à moins que l’on ne découvre dans le désert d’importantes richesses minérales, l’avenir qui l’attend, c’est une diminution graduelle et finalement une disparition presque totale. Comme port du Sahara, comme point d’aboutissement des caravanes, les destinées futures de Tripoli sont donc loin de s’annoncer brillantes ; elle cessera de plus en plus d’être un emporium du Soudan ; c’est vers le monde méditerranéen qu’elle devra tourner ses regards et orienter son activité.