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plus fort qu’ils avaient peur. On avait colporté parmi eux les fausses confidences de Fouché, que Napoléon voulait se proclamer dictateur ; et d’instant en instant, des émissaires, dépêchés secrètement de l’Elysée par le même Fouché, rapportaient dans les couloirs du Palais législatif, d’une façon plus alarmante qu’exacte, tout ce qui se disait au conseil. A les en croire, Lucien et Davout poussaient l’Empereur à dissoudre la Chambre. Sa décision était prise, déjà stationnaient dans la cour de l’Elysée les voitures de parade où Napoléon allait monter pour venir en personne déclarer la Chambre des représentans dissoute et la Chambre des pairs prorogée. Ces rapports évoquaient à l’esprit troublé des députés la vision des grenadiers de Brumaire.

Tandis que la foule consternée et avide de nouvelles s’amassait au dehors, les privilégiés commencèrent de prendre place dans les tribunes, et nombre de députés s’assirent à leur banc. Tous les yeux convergeaient vers un groupe que formaient au bas de l’hémicycle Flaugergues, le général Sébastiani, Roy, Manuel et La Fayette qui les dominait de sa haute taille restée encore svelte.

Parmi tous les députés qui clamaient contre l’Empereur avec tant de colère, La Fayette, sous sa froideur apparente, était le plus animé. Bien qu’il eût à Napoléon l’obligation assez sérieuse d’avoir imposé sa mise en liberté comme condition particulière du traité de Campo-Formio[1] (en 1797 La Fayette, croupissait depuis cinq ans dans les casemates des forteresses

  1. S’il est vrai que Bonaparte agit en cela d’après les instructions du Directoire, il est vrai aussi qu’il prit à cœur la libération de La Fayette, à laquelle s’opposait très vivement le cabinet autrichien, et qu’il l’obtint par son ardente persévérance. Voici d’ailleurs en quels termes La Fayette, dans une lettre du 6 octobre 1797, exprimait sa reconnaissance à Bonaparte ; « Les prisonniers d’Olmütz aiment à rendre hommage à leur libérateur... le héros qui a mis notre résurrection au nombre de ses miracles... Nous allons tâcher de rétablir les santés que vous avez sauvées. Nous joindrons aux vœux de notre patriotisme pour la République l’intérêt le plus vif à l’illustre général auquel nous sommes encore plus attachés pour les services qu’il a rendus à la cause de la liberté et à notre patrie que pour les obligations particulières que nous nous glorifions de lui avoir et que la plus vive reconnaissance a gravées à jamais dans notre cœur. »
    Le 6 mars 1798, il écrivait encore à Bonaparte : « … Je vous dois plus que ma liberté et ma vie, puisque ma femme, mes filles, mes camarades de captivité vous reconnaissent aussi pour leur libérateur... J’espère n’avoir pas besoin de vous assurer que ma gratitude durera, comme mon attachement, autant que ma vie. » br/> La Fayette rentra en France grâce au 18 Brumaire, qu’il fut bien loin de blâmer. Le 20 mai 1802, il écrivit au Premier Consul : « Le 18 Brumaire sauva la France. »