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En piquant droit au Sud, une vingtaine d’étapes conduisent à Rhât, la mystérieuse métropole des Touareg Azdjer, l’un des carrefours du commerce saharien, l’étape obligatoire des caravanes en route pour le Soudan. Duveyrier, qui a campé sous ses murs sans y pénétrer, la décrit comme une ville d’environ 4 000 habitans, ceinte de murailles et entourée de palmeraies et d’oasis[1]. Mais le naïb Mohammed-el-Taïeb, le chef qui est allé chercher à Rhât les assassins du marquis de Mores, a pénétré dans la ville en 1898 et, d’après lui, elle ne renfermerait plus que 300 habitans sédentaires. Quelque erroné que puisse être un chiffre aussi faible, il n’en semble pas moins très probable que la prospérité de l’oasis a dû pâtir de la présence des Turcs et subir le contre-coup des troubles du Bornou et des ravages de Rabah[2].

Le principe des « arrière-pays » (hinterland), défini par la conférence de Berlin, s’il était rigoureusement appliqué à Rhadamès et à Rhât, les placerait sans conteste parmi les dépendances de notre Protectorat tunisien ; la frontière, indiquée à travers le désert par la convention du 21 mars 1899, semble aussi les englober dans le Sahara français. Mais, par crainte de la venue des chrétiens, les deux oasis ont accepté des garnisons turques. En 1862, la mission française de MM. Mircher et de Polignac, qui séjourna à Rhadamès et signa un traité d’amitié et de commerce avec les chefs touareg, n’y trouva qu’un gouverneur ottoman sans autorité ; deux ans après, un fort était construit et des troupes installées. Le même fait s’est produit à Rhât. Vers 1880, les Turcs, pour la première fois, y entrèrent par trahison ; mais, en 1886, les Touareg reprenaient la ville de vive force et massacraient la garnison. Les soldats du Sultan, depuis lors, s’y sont de nouveau établis ; haïs des nomades, qui ne sont ni de la même race ni de la même secte, ils y sont tolérés pour protéger l’oasis contre un coup de main des Français.

Ainsi, à Rhadamès et à Rhât, nous nous heurtons à des droits acquis ; mais, le jour où la Porte viendrait à cesser d’exercer son autorité dans l’Afrique du Nord, nous aurions le droit strict, en vertu du principe des hinterland et de l’ancienneté de nos relations avec les chefs touareg, de revendiquer

  1. Duveyrier, les Touareg du Nord. Paris, 1864, in-8o.
  2. Sur Rabah et les pays du Tchad, voyez le beau livre de M. Emile Gentil : la Chute de l’Empire de Rabah. 1 vol. in-8o illustré ; Hachette, 1902.