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hors de cause l’Etna, que le voisinage nous avait d’abord fait accuser ; ce n’était pas le volcan, c’était le Sahara qui révélait sa présence et qui, par la large échancrure des Syrtes, envoyait jusqu’à la Sicile, soulevés dans les airs par quelque lointaine tornade, les sables de ses dunes. Toute la journée, le ciel resta rouge et triste, et il continua de tomber, de temps à autre, de ces étranges gouttes. Les journaux nous apprirent ensuite que les observatoires avaient signalé jusqu’en Allemagne le vol de ces nuages et la chute de cette pluie de sang. C’était bien, en effet, ce phénomène, si redouté dans l’antiquité et au moyen âge, auquel nous venions d’assister ; et, si nous savions qu’il n’y avait là ni un miracle, ni l’annonce de quelque effroyable catastrophe, cette brusque apparition du Sahara, en face des plus verdoyans rivages du monde méditerranéen, n’en était pas moins saisissante ; elle évoquait devant nos yeux l’éternel conflit des élémens de destruction et des forces de vie, et l’évolution fatale qui, à la fin des temps, sur notre globe desséché et glacé, amènera le triomphe des puissances de la mort.

La Tripolitaine est précisément, sur la côte septentrionale de l’Afrique, la région où les étendues arides du grand désert sont en contact immédiat avec les flots de la Méditerranée, où, pour emprunter une expression à la géométrie, la Méditerranée et le Sahara sont tangens l’un à l’autre, tandis que partout ailleurs la nature a interposé entre eux un écran bienfaisant de hautes montagnes et de larges plateaux. C’est l’Atlas qui donne aux pays du Maghreb leur aspect riant et leur heureuse fécondité ; c’est lui qui repousse les assauts du désert et attire les pluies vivifiantes ; mais il n’étend pas sa protection sur toute l’Afrique du Nord ; au cap Carthage et au cap Bon, il plonge sous les flots pour aller rejoindre Malte et la Sicile, et la côte, brusquement déviée vers le Sud, se creuse en un immense golfe, terminé par un double cul-de-sac, les deux Syrtes. De ce golfe, la Tunisie occupe la côte Ouest, et le plateau de Barka, l’ancienne Cyrénaïque, la côte Est ; au fond, s’étend la rive déserte et brûlée de la Tripolitaine, où, sauf en de rares oasis, aucune zone de végétation ne s’interpose entre la stérilité des sables et la stérilité des eaux marines. La Tripolitaine est donc, avant tout, saharienne : c’est là son caractère géographique dominant. De tout l’immense territoire qui obéit au Sultan de Constantinople, le désert inhabité occupe la partie de beaucoup la plus grande.