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armer et exercer 30 000 tirailleurs fédérés, et faire venir des troupes de tous les dépôts. Les dépôts vidés seraient bientôt remplis avec les 160 000 hommes formant le complément de la conscription de 1815 et de la levée des gardes nationaux mobilisés, et l’on pourrait encore faire de nouveaux appels[1]. La France contenait plus d’élémens militaires qu’aucun autre peuple au monde... « Et la Chambre veut que j’abdique ! poursuivit l’Empereur. A-t-on calculé les suites de mon abdication ? C’est autour de moi, autour de mon nom, que se groupe l’armée : m’enlever à elle, c’est la dissoudre. Si j’abdique, vous n’aurez plus d’armée. Les soldats n’entendent rien à vos subtilités. Croit-on que des déclarations de droits, des discours de tribune, arrêteront une débandade ?... On ne veut pas voir que je ne suis que le prétexte de la guerre, que c’est la France qui en est l’objet. Ils disent qu’ils me livrent pour sauver la France ; demain, en me livrant, ils prouveront qu’ils n’ont voulu sauver qu’eux-mêmes... Me repousser quand je débarquais à Cannes, je l’aurais compris. Mais maintenant je fais partie de ce que l’ennemi attaque, je fais donc partie de ce que la France doit défendre. En me livrant, elle se livre elle-même, elle se reconnaît vaincue, elle encourage l’audace du vainqueur... Ce n’est pas la liberté qui me dépose, c’est la peur. »

Ces paroles d’une éloquence pénétrante comme l’acier et brûlante comme la flamme, galvanisèrent les ministres. Leur dévouement se ranimait avec l’espérance. Ils semblaient prêts à faire tout ce que voudrait l’Empereur. Fouché devint très inquiet.

  1. Le tableau que traçait Napoléon était à peu près exact quant au nombre de soldats et de mobilisés qui se trouvaient aux armées, dans les garnisons et dans les dépôts ou qui étaient en marche pour les rejoindre, et quant à celui des hommes à mettre en activité. Dès le 15 juin, 28 000 hommes de l’armée foudroyée à Waterloo allaient se trouver réunis autour de Laon. Grouchy ramenait 25 000 soldats et toute son artillerie. Les dépôts de Paris et des départemens environnans pouvaient fournir immédiatement 25 000 hommes au moins. Dans les dépôts des départemens plus éloignés, il y avait 46 000 conscrits de 1815 et 120 000 gardes nationaux mobilisés. Un mois plus tard on aurait eu encore 74 000 hommes formant le complément de la conscription de 1815 et 84 000 hommes formant le complément de la levée de la garde nationale mobile. En comprenant les petites armées du Rhin, des Alpes, des Pyrénées, de la Vendée, les garnisons des places : soldats, fusiliers marins, mobilisés, militaires retraités, enfin les tirailleurs fédérés, les douaniers, organisés militairement, les corps francs, etc., la France pouvait encore opposer à l’ennemi plus de 550 000 combattans. Mais l’Empereur se faisait des illusions sur la possibilité d’armer ces masses. On aurait eu assez de canons ; mais les fusils et les chevaux auraient manqué. Il y aurait eu aussi la question d’argent.