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visible du découragement qui les paralysait, Napoléon interpella chacun d’eux.

Carnot, qui comme tous les grands cœurs connaissait mal les hommes, les croyant à sa ressemblance, se faisait illusion sur le patriotisme des représentans. Il approuva le dessein de l’Empereur et conclut qu’il fallait déclarer la Patrie en danger, mobiliser les fédérés et toutes les gardes nationales, rappeler les armées de Vendée et du Midi, livrer bataille appuyé aux retranchemens de Paris, et, si l’on était vaincu, se replier derrière la Loire pour y continuer la guerre.

Caulaincourt objecta à Carnot qu’il était prouvé par les événemens de 1814 que l’occupation de Paris décidait de l’issue de toute campagne. Il ajouta qu’il ne fallait pas néanmoins désespérer, s’il y avait union sincère entre l’Empereur et les Chambres. Bassano et Cambacérès exprimèrent aussi l’avis que l’Empereur devait agir de concert avec le Parlement. Mais on sentait à leur accent, que, comme Caulaincourt, ils parlaient sans conviction et sans espoir.

Davout prit la parole : « En de pareils momens, dit-il d’une voix assurée, il ne faut pas deux pouvoirs. Il n’en faut qu’un seul, assez fort pour mettre en œuvre tous les moyens de résistance et pour maîtriser les factions criminelles et les partis aveuglés dont les intrigues et les menées feraient obstacle à tout. Il faut sur l’heure proroger les Chambres, conformément au droit constitutionnel. C’est parfaitement légal. Mais, pour atténuer l’effet de cette mesure sur l’esprit des gens méticuleux, on peut annoncer la convocation des Chambres dans une ville de l’intérieur, qui sera ultérieurement désignée, pour une époque fixée à deux ou trois semaines d’ici, sauf à renouveler la prorogation si les circonstances l’exigent encore. »

Le conseil donné par Davout traversait les plans de Fouché. Le duc d’Otrante avait imaginé de répandre le bruit que l’Empereur voulait proroger ou dissoudre la Chambre. Mais que cette hypothèse gratuite devînt une réalité, que ce projet fût mis à exécution, voilà qui l’eût fort déconcerté, Il composa son visage, prit une expression ouverte et cordiale et demanda hypocritement pourquoi l’on prendrait une mesure aussi grave, puisque, en raison du danger public, les Chambres ne marchanderaient pas à l’Empereur leur concours dévoué. « Je vous assure, conclut-il, que tout est très tranquille. » L’Empereur haussa