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Bertrand et Drouot, ses aides de camp Corbineau, Gourgaud, Labédoyère, son écuyer Canisy et son secrétaire-adjoint Fleury de Chaboulon. Le duc de Bassano qui l’avait quitté à Laon, la veille dans la soirée, était déjà rentré à Paris.

Caulaincourt, devançant l’heure fixée par Joseph pour le conseil des ministres, se trouvait à l’Elysée. Il accourut vers l’Empereur quand celui-ci descendit de voiture. Napoléon semblait terrassé par les journées fatales. Il respirait péniblement. Son visage avait la pâleur de la cire, ses traits étaient tirés, ses beaux yeux, naguère si brillans, fascinateurs, où passaient des éclairs, étaient sans vie. Après un soupir pénible qui trahissait l’oppression et la souffrance, il dit d’une voix haletante : « — L’armée avait fait des prodiges, la panique l’a prise. Tout a été perdu... Ney s’est conduit comme un fou ; il m’a fait massacrer toute ma cavalerie... Je n’en puis plus... Il me faut deux heures de repos pour être à mes affaires. » Il porta la main à sa poitrine, disant : « J’étouffe là ! » Il commanda de lui préparer un bain, et reprit : « Mon intention est de réunir les deux Chambres en séance impériale. Je leur peindrai les malheurs de l’armée ; je leur demanderai les moyens de sauver la patrie. Après cela, je repartirai. » Depuis trois mois, le duc de Vicence ne cessait pas de désespérer. A force de pressentir la catastrophe, il était préparé à la subir sans résistance, comme on accepte l’inévitable. Sans chercher un mot de réconfort dont Napoléon avait si grand besoin, il s’empressa de lui apprendre les dispositions hostiles des représentans. Il dit ses craintes que l’Empereur ne trouvât pas d’appui dans les Chambres, et ses regrets qu’il ne fût point resté au milieu de son armée « qui était sa force et sa sûreté. » Napoléon l’interrompit : « — Je n’ai plus d’armée ! je n’ai plus que des fuyards. » Puis, se reprenant à l’espérance, déjà tout ranimé, il dit : « — Mais je trouverai des hommes et des fusils. Tout peut se réparer. Les députés me seconderont. Vous les jugez mal, je crois. La majorité est bonne et française. Je n’ai contre moi que La Fayette et quelques autres. Je les gêne. Ils voudraient travailler pour eux... Mais je ne les laisserai pas faire. Ma présence ici les contiendra. »

Les princes Joseph et Lucien arrivèrent à l’Elysée à quelques minutes d’intervalle. Joseph, qui venait d’avoir avec Lanjuinais une entrevue peu encourageante, était aussi abattu que Lucien était ardent. Tous deux s’accordèrent, bien que guidés par des