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La merveille des merveilles est la grille blanche qui, au centre de la salle transparente, enferme la pierre du tombeau. Elle se compose de hautes plaques de marbre mises debout, si finement ajourées que l’on dirait d’immenses découpures d’ivoire, et, sur chacun des montans, toujours du même marbre sans défaut, sur chacune des traverses encadrant ces plaques presque légères, courent des guirlandes de petites fleurs éternelles, fuchsias ou tulipes, qui sont des incrustations de lapis, de turquoise, de topaze ou de porphyre.

La sonorité de ce mausolée blanc est presque épeurante, les échos n’y cessent pas. Si l’on y chante le nom d’Allah, le son exagéré de la voix s’y prolonge pendant plusieurs secondes, et traîne dans l’air à n’en plus finir, comme un souffle d’orgue.


Derrière les remparts formidables de la ville de Delhi, à soixante lieues environ plus au Nord, les Grands Mogols possédaient un autre palais enchanté, qui dépasse encore la magnificence de celui d’Agra.

Il ouvre ses grandes ogives blanches, ce palais de Delhi, sur un vieux jardin sans vue, très enclos, auquel de trop hautes murailles crénelées donnent la tristesse des prisons.

Prisons pour les Génies ou les Fées, et dont aucun autre palais humain n’égala jamais la splendeur délicate. Tout est de marbre blanc, il va sans dire ; tout est découpures, retombées prodigieuses de stalactites ou de grappes de givre. Mais l’or à profusion se mêle à ces inaltérables blancheurs ; et on sait l’éclat particulier que prennent les dorures appliquées sur le poli des marbres. Les milliers d’arabesques, minutieusement ciselées aux parois et aux voûtes, sont comme serties d’or étincelant.

Toute la lumière qui pénètre là vient de ces larges baies ouvertes sur le jardin triste. Les colonnes, les arceaux dentelés, qui se succèdent en perspective, vont s’éteindre dans des fonds lointains un peu noyés de pénombre bleue ; mais le palais entier a des transparences d’albâtre.

La salle où était le trône (ce légendaire trône du paon en or massif et émeraudes) est entièrement blanche et or. Ailleurs, les hautes parois de marbre sont semées de bouquets de roses ; des roses délicieusement nuancées de rose vif et de rose pâle, comme dans les broderies de la Chine, et dont chaque pétale est entouré d’un imperceptible liséré d’or, comme dans notre art nouveau.