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Montaz-i-Mahal[1] qui inspira tant d’amour, et du sultan son époux, qui voulut créer autour de la morte une splendeur tellement inouïe.

Le Taje, c’est, dans un grand parc funéraire muré comme une citadelle, le plus gigantesque et le plus impeccable amas de marbre blanc qui soit au monde. Les murailles du parc sont en grès rouge, ainsi que les hautes coupoles, incrustées d’albâtre, qui s’élèvent au-dessus des portes, aux quatre angles du vaste enclos. Les allées, — palmiers et cyprès, — les pièces d’eau, les charmilles ombreuses, tout est tracé en lignes droites et sévères. Et là-bas, au fond, trône superbement l’idéal mausolée, d’une blancheur plus neigeuse encore au-dessus de ces verdures sombres : sur un socle blanc, une coupole immense, et quatre minarets plus hauts que des tours de cathédrale ; tout cela, d’une tranquille pureté de lignes, d’une harmonie calme et supérieurement simple ; tout cela, de proportions colossales, et construit avec des blocs sans tache, à peine veinés d’un peu de gris pâle.

Si l’on s’approche ensuite, on distingue des arabesques adorablement délicates qui courent sur les murailles, soulignent les corniches, encadrent les portes, s’enroulent aux minarets, et qui sont de très minces et précises incrustations de marbre noir[2].

Sous la coupole du milieu, la coupole de soixante-quinze pieds de haut, qui abrite le sommeil de la sultane, c’est l’excès de la simplicité superbe, le summum de la splendeur blanche. Il devrait faire sombre là, et il fait clair, comme si toutes ces blancheurs rayonnaient, comme si ce grand ciel de marbre, taillé à mille facettes, avait on ne sait quelle vague transparence. Sur les hautes parois, un peu veinées de gris perle’, rien que des séries de petits arceaux dentelés qui s’esquissent, s’indiquent en imperceptibles saillies ; et sur le vaste déploiement du dôme, rien que ces facettes géométriques, inspirées des lentes cristallisations souterraines. A la base seulement et tout autour des précieuses murailles, il y a comme un parterre de grands lis, dont les tiges semblent sortir du sol et dont les pétales, sculptés en haut relief et en plein marbre, ont l’air prêts à s’effeuiller… L’art moderne d’Occident a imité plus ou moins bien ce genre de décoration-là, qui fleurissait dans l’Inde au XVIIe siècle.

  1. Épouse de l’empereur Shah-Jehan, elle mourut en 1629, en donnant le jour à son huitième enfant, après quatorze ans de mariage.
  2. Le Taje avait jadis de grandes portes en argent, qui furent enlevées lors du pillage d’Agra par Suraj-Mall.