Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même, il jugea donc plus prudent pour le présent et tout aussi profitable pour l’avenir de faire agir les autres jusqu’à ce que les choses fussent tout à fait décidées.

Avec une habileté diabolique, jouant tour à tour l’animation et l’abattement selon l’opinion de ses interlocuteurs, décourageant ceux-ci, enflammant ceux-là, paraissant de l’avis de chacun et amenant chacun à son propre avis, Fouché sut associer pour un même dessein et pousser vers un même but les hommes les plus opposés d’opinions. Aux libéraux comme La Fayette, il dit : « Napoléon revient furieux ; il veut dissoudre la Chambre et prendre la dictature. Souffrirez-vous ce retour au despotisme ? Le danger est pressant. Dans quelques heures, la Chambre n’existera plus. Il ne faut pas se contenter de faire des phrases. » Aux partisans de l’Empereur, comme Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, il représenta que la fermentation était extrême dans l’Assemblée, que la majorité semblait déjà acquise au projet de proclamer la déchéance comme l’année précédente. Il insinuait qu’une abdication spontanée était peut-être le seul moyen pour l’Empereur d’éviter la déposition, de préserver le pays de l’invasion et du démembrement, et de sauver la dynastie. Les souverains qui n’avaient entrepris la guerre que pour en finir avec lui, arrêteraient leurs armées et ne s’opposeraient pas sans doute à la reconnaissance de Napoléon II. Le duc d’Otrante laissait entendre qu’il avait, quant à cela, par des rapports secrets de Vienne, des quasi-certitudes. A d’autres bonapartistes moins faciles à endoctriner, il disait que la Chambre était avant tout patriote et que dans l’intérêt public elle ne refuserait pas son concours à Napoléon ; mais qu’il devait se confier franchement à elle, car en présence d’un si grand péril il fallait l’union complète entre l’Empereur et la nation. Par ces manœuvres, Fouché rendait l’abdication volontaire ou forcée, presque inévitable, et, en même temps, il prenait ses sûretés contre tout événement. Si même Napoléon gardait le pouvoir, le duc d’Otrante trouverait des défenseurs convaincus parmi les familiers du souverain qu’il aurait tout fait pour détrôner.


III

Pendant ces menées et ces conciliabules, le 21 juin, à huit heures du matin, Napoléon arriva à l’Elysée. Avec lui étaient