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Midi lui aura rendu des couleurs suffisantes, la marier à quelque polytechnicien. Si elle est plutôt mère, c’est Freydières qu’elle prendra en aversion, et pour Madeleine le petit voyage s’impose, pareillement, aussi bien que le mariage à bref délai. Mais qu’elle marie Madeleine à Freydières, c’est ce que rien ne faisait prévoir ; qu’elle consente à ce mariage odieux pour assurer le bonheur de son enfant, et aussi pour éviter le scandale, c’est ce à quoi nous nous attendions le moins. Une femme qui marie son amant à sa fille pour conserver à cette fille le respect de sa mère, cela du moins n’est pas banal.

Dans ce dernier acte l’auteur a réuni, entassé, accumulé, comme des matériaux non dégrossis, tous les élémens de drame qu’il a négligé de mettre en œuvre. Commencée, continuée, prolongée en comédie mondaine, la pièce s’y termine sur une note de brutalité. Nous emportons une impression pénible.

Dans l’Autre danger, comme dans le Torrent, M. Donnay a cru que pour faire une comédie, il n’est que de coudre à trois actes de fantaisie une situation d’une audace devenue bien facile depuis que la complaisance du public est sans limites. Le résultat lui donne tort. C’est par là qu’une leçon générale se dégage de cette pièce mal construite. Non, et quoi qu’on en ait pu dire, il n’est pas vrai qu’un auteur ait le droit de disposer à son gré de l’attention que le public consent à lui prêter pendant quatre heures d’horloge. En venant au théâtre, nous apportons des exigences qui sont légitimes puisqu’elles se bornent à demander que d’un sujet une fois choisi on tire un peu de ce qui y est contenu. La situation impose à la pièce son allure générale et ses développemens essentiels. L’écrivain n’est pas libre de s’y dérober. S’il préfère s’échapper, tourner autour, s’amuser aux bagatelles, fioritures et gentillesses, nous ne prenons pas le change, et nous ne pensons pas que ce soit la marque du trop d’esprit.

Mme Bartet est admirable dans le rôle de Claire Jadain. C’est elle qui a sauvé le dernier acte par tout ce qu’elle a su prêter à son personnage d’émotion, de vie intérieure, de souffrance, de révolte, de résignation, de tristesse. Une débutante, Mlle Piérat, a obtenu un très grand succès dans le rôle de Madeleine. Elle a du naturel, du charme, de la jeunesse ; et on sait assez qu’il ne suffit pas pour cela d’avoir dix-huit ans. Il y a tout lieu d’espérer que la Comédie a trouvé en elle l’ingénue qui depuis longtemps lui faisait défaut. M. de Féraudy est extrêmement amusant dans le rôle de Jadain et dessine avec la fantaisie la plus savoureuse cette silhouette d’envieux et de geignard. Tout ce que peut M. Le Bargy dans le rôle ingrat de Freydières, c’est