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Autant qu’au rôle de Mlle de la Vallière, le fond ou la substance manque à celui de Louis XIV. En musique, par la musique, le roi comme la favorite existe à peine. Sa phrase d’entrée pourtant nous avait donné quelque espoir. Elle s’échauffe, elle s’élève, portée par un orchestre qui n’est dépourvu ni de noblesse ni de majesté. C’est le seul passage où le Roi-Soleil ait brillé d’un éclat trop vite évanoui.

Ainsi les deux principales figures sont ternes, plates et sans vie. Les silhouettes accessoires, les menus épisodes ont plus d’agrément. Ils ont aussi trop d’importance. Ils surabondent, sans que les dehors multipliés arrivent à masquer le vide du dedans. Les deux premiers tableaux ne représentent guère que les préparatifs d’abord, puis l’exécution d’un ballet de cour. On y relèverait de jolis détails dans le style de l’époque, et même dans un style moins ancien, car l’imitation de Gluck s’y mêle au pastiche de Lully. Le troisième tableau (la sortie de la chapelle royale) fait encore une part au spectacle des choses extérieures. Une bonne moitié du quatrième se passe en propos galans entre gentilshommes et filles d’honneur. Et le dernier acte même, celui du Carmel, en dépit d’une mise en scène, exacte, nous l’avons dit, jusqu’à l’irrévérence, ne laisse que l’impression fugitive d’une œuvre mince, toute en surface et toute de reflets.

C’est ainsi qu’une fois encore, un fin mélodiste a plié, sinon rompu, sous le pesant fardeau qu’est un opéra. Mais quelle imprudence aussi que de le vouloir porter, comme ils font tous ! Il en advient naturellement que leur talent forcé ne fait plus rien avec grâce et que, dans les quatre actes de la Carmélite, il n’y a pas vingt mesures qui vaillent ou qui rappellent seulement un des lieder de M. Hahn. J’en sais quelques-uns dont le charme subtil n’est pas encore évanoui. Tandis que La Vallière nous parlait, — sans nous émouvoir, — d’un parc et de grands arbres, sous lesquels avait joué son enfance, nous nous souvenions d’un autre jardin et d’une allée aussi, dont une des « Chansons grises » (paroles de Verlaine) a dit plus bas et plus délicatement le mystère. Parmi tant de pages de la Carmélite, qui sont ou qui voudraient être d’amour, laquelle, pour la justesse du sentiment et de la déclamation, pour la tendresse et l’humilité que peut donner la musique à l’effusion et au don de soi-même, laquelle est digne de l’Offrande ? Laquelle enfin égale cet autre chant :


Le ciel est par-dessus le toit
Si bleu, si calme...


pour l’amertume des regrets et la ferveur du repentir ?