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de redire que, s’il y a des genres qui vivent de l’observation et dont l’objet est de reproduire exactement ce qui est, la poésie peut seule s’étendre sur un domaine qui lui est propre, celui du mystère. Il y avait lieu encore d’établir que, si les arts plastiques peuvent prêter à la poésie quelques-uns de leurs moyens d’expression, elle n’a pas moins d’affinités avec un autre art, celui même qui dans les temps modernes s’est le plus développé : la musique. C’étaient autant d’idées justes : il était opportun de les réintégrer dans l’art, puisqu’on les avait laissées se perdre. Elles apportaient un principe qui était nouveau, puisque, sous son action, la poésie se transformait dans sa conception et dans ses moyens d’expression. C’est pourquoi les symbolistes ont fait une œuvre qui n’a pas été sans conséquence ; ils n’auront pas passé sans laisser une trace de leur passage, après eux ; la poésie se trouve différente de ce qu’elle était avant eux ; ils ont leur page dans l’histoire du lyrisme. Il y a eu une école symboliste.

Y a-t-il une école humaniste ? L’humanisme à la mode de 1903 apporte-t-il quelque principe nouveau ? Il n’est que de le demander à ses représentans. C’est surtout à propos d’Homère, de Ronsard et d’André Chénier que M. Deschamps a été amené à parler de l’humanisme. Ronsard, « ce grand homme si longtemps méconnu, a inauguré en France les traditions de l’humanisme. » C’est le moment de nous y initier, et nous allons savoir ce que parler veut dire. « Son programme était conforme aux exemples des anciens et, par conséquent, favorable au progrès de la civilisation et de la société nouvelle : les anciens, s’ils vivaient aujourd’hui, seraient modernes. Et le précepte initial de l’humanisme, c’est que nous devons imiter les Grecs, nos maîtres, en faisant ce qu’ils feraient, s’ils ressuscitaient parmi nous. L’illustre chef de la Pléiade a voulu doter son pays d’un art humain et national, adapté au vœu de l’humanité en général et à la gloire de la France en particulier. Il a aimé la vie, et il a chanté ce qu’un de nos jeunes poètes appelle si éloquemment la « beauté de vivre. » Poète, il a voulu que la poésie, comme au temps où les cités s’élevaient au rythme de la lyre, eût une part de la puissance publique et il a traité d’égal à égal avec les rois. Français, il a aimé la France comme un Athénien du siècle de Périclès aimait sa patrie. » Je suis bien d’avis qu’il faut aimer sa patrie. Cet excellent conseil, s’il était suivi, nous préparerait de bons citoyens ; mais il n’est pas certain qu’il nous valût de bons poètes, la poésie patriotique, en tous les temps, n’ayant donné que peu de chefs-d’œuvre. Il faut aussi aimer la vie, à condition toutefois de n’en pas tout aimer, de l’aimer avec choix et de ne pas sacrifier à cet amour de