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arrivera vivant à Samsoun… Comme dit Maurice : « Avec les Turcs, le tout est d’oser ! »

12 mars. — À peine le docteur est-il parti que, le dégel étant survenu, le typhus éclate. En même temps, ce sont partout des odeurs épouvantables. Bébé, bien pâlot, a besoin d’air, mais je n’ose pas ouvrir les fenêtres.

Le typhus atteint nos Sœurs. Ces pauvres filles, qui, l’an dernier, ont si cruellement payé le tribut au choléra, vont-elles encore le payer au typhus ? C’est bien à craindre, car elles vont dans chaque hutte misérable, aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens.

Et nous n’avons plus un seul médecin, pas un seul pharmacien !

Maurice a été leur défendre de continuer. Il dit qu’elles ont assez fait. En effet, sur cinq, elles sont trois dans leur lit.

13 mars. — De l’ambassade nous arrive une indemnité pour les secours que nous avons distribués depuis quatre mois. Agréable surprise, car Maurice n’avait voulu rien demander.

14 mars. — À cause de bébé, à qui je rapporterais peut-être l’épidémie, je n’ose guère entrer chez les Sœurs ; je vais seulement jusqu’à la porte prendre des nouvelles, — et cependant elles sont seules, les femmes du pays les ont abandonnées.

De grand matin, on m’apprend que la sœur Marie, prise brusquement, est au plus mal. C’était celle, de toutes les Sœurs, que je connaissais le moins, mais elle m’avait paru fine, distinguée.

Je pars dès que la voiture est prête, car il y a tant de boue que je ne pourrais passer, et c’est loin. J’arrive, j’entre dans la chambre, je vois des cierges allumés : la sœur Marie vient d’expirer.

On l’a enterrée l’après-midi. Le vali désirait que cela se fît la nuit, par crainte d’un soulèvement des musulmans, car le corps va être présenté à l’église arménienne, donc on va traverser toute la ville. (Ce sera la réouverture ; jusqu’ici, les Arméniens morts depuis les massacres n’ont pas passé par les églises.) Mais Maurice n’admet pas qu’une Française puisse être enterrée en cachette. On fera la cérémonie au grand jour et le pavillon français sera étendu sur le cercueil.