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Dans certains endroits, les assassins jouent aux boules avec des têtes qu’ils se lancent.

A onze heures, plus rien.

Notre quartier est toujours intact. Rassurés, un certain nombre d’Arméniens sont restés dans leurs maisons.

Et dire qu’au milieu de tout cela, il m’a fallu faire la soupe aux petits chiens, car Minka n’a pas de lait ! La bonne bête me lèche les doigts.

15 novembre. — Il paraît que c’est vraiment fini. Les derniers Arméniens quittent l’église et Mehemet, leur gardien, rentre chez nous.

Toute la ville sent une odeur de charnier ; on est obligé de fermer les fenêtres.

J’apprends que les Sœurs voudraient me voir. Je pars, suivie des deux cawas.

Aucun cadavre sur la route, mais du sang partout, poissant aux pieds, des débris de cervelle, des cheveux. Partout des maisons saccagées.

Panayoti me montre l’endroit où, le 12, quand il est passé, une voix, la voix d’un Turc, lui a crié tout à coup : Jette-toi à droite ! Il a obéi et une balle lui a rasé l’oreille. Il a vainement cherché à savoir qui tirait. Sur la route, il a vu tuer sept ou huit Arméniens, comme des moutons, sans qu’ils tentent de se défendre, muets. Et pourtant ce sont de solides gaillards.

J’arrive chez les Sœurs, qui ne peuvent s’empêcher de m’embrasser en pleurant. Je leur demande des détails, mais elles ne savent rien. Elles s’étaient enfermées dans leur maison, qui est au milieu d’une cour, et sont restées en prières avec les enfans qu’elles avaient recueillis. Elles me disent que, selon Panayoti, c’est moi qui ai proposé qu’il aille chez le vali bien que le Consulat n’eût plus de défenseurs. Je les assure que c’est Maurice seul, — ce qui est la vérité.

Au consulat, nos hôtes sont toujours bien terrifiés. Nous avons trente-sept personnes à nourrir.

Dimanche 17. — C’est navrant, que le sang ne cesse pas de couler ! Hier, 44 Arméniens ont été tués sans bruit.

Des cheiks musulmans sont vus s’informant auprès de nos voisins arméniens s’ils ont des provisions suffisantes. J’étais touchée de cette sollicitude, quand Maurice dit : — Mais c’est pour