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infructueuse, et pourtant les chiens ne cessaient pas de gronder.

Ce matin, par un berger arménien, nous avons appris que c’était Panayoti qu’on voulait tuer. Impossible d’obtenir plus de détails. Il n’ose pas parler, le berger ! Sont-ce des Kurdes, des Circassiens, des Turcs ?

— Sais-tu ce que ça veut dire ? me dit Maurice. Tout simplement que bientôt on va massacrer, et que je gêne, car ils savent bien que je me mettrai en travers ; or, si je perds Panayoti, je ne le remplacerai pas. Vois-tu, assez de villégiature. Rentrons à Sivas !

27 septembre. — Sivas. Nous n’avons pas eu de chance pour notre retour. Un orage nous a surpris, la température est glaciale, et Maurice, qui a pris froid, tousse.

29 septembre. — Le beau temps est revenu, et nous étouffons dans la poussière malsaine de la ville ; mais il vaut mieux être ici, car, certainement, il se prépare quelque chose...

D’abord, les Arméniens semblent très montés. Ils rêvent de se soulever, ce qui exaspère Maurice, qui ne comprend jamais les révoltes, lui, soldat discipliné.

Jean est en pleine crise ; il pleure, ses gencives sont gonflées et très rouges, et il serre ses doigts avec rage, puis il se calme et reprend son air souriant.

1er octobre. — Nous apprenons de Paris qu’au ministère, on trouverait tout naturel que Maurice, étant nouveau marié, demandât une résidence plus confortable à une altitude moins extravagante[1] ; mais il me déclare que, pour rien au monde, il ne voudrait demander un changement au moment où les choses se gâtent. « Au surplus, me répond-il, je ne suis pas, moi, désireux de rester à Sivas, l’ambassadeur est le meilleur des hommes, il avisera... » Mais justement, comme M. Cambon m’a dit qu’il aimait les hommes énergiques, je ne suis que trop certaine qu’on ne nous changera qu’après la bataille ; alors, attendons !

L’effervescence augmente dans le pays. Il y a eu des rixes, le sang a coulé. Ces pauvres Arméniens sont-ils pris de folie ? Ils crient très fort. Leurs comités ont des armes. Mais sur quel secours peuvent-ils bien compter ?

Oui, je sais, ils se rappellent notre expédition de Syrie.

  1. Sivas, l’ancienne Sébaste, l’antique capitale de l’Arménie Ier (16 000 habitans), est située à 1 300 mètres d’altitude. L’hiver y est très rigoureux.