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grands devoirs, et qui accumule toutes ses énergies pour faire encore avec rien un fantôme de France. »

Or, en 1899, M. Maurice Carlier, l’un des représentans de la France, qui, d’après le témoignage de ses chefs, eurent la conduite la plus vaillante, prirent les mesures les plus hardies, succombait, tout jeune encore, des suites d’une affection contractée pendant le rude hiver des massacres. Il laissait un jeune fils, né à Sivas, et une veuve qui venait d’être citée avec éloges (article de l’éminent écrivain que nous venons de nommer dans le Figaro du 2 février 1897), puis, mise à l’ordre du jour par M. Paul Cambon, ambassadeur de France à Constantinople. M. Maurice Carlier, vrai type de soldat (il n’avait dû qu’à un cruel accident de cheval de ne point embrasser, comme il l’eût souhaité, la carrière militaire), s’était vu souvent, depuis les massacres, sollicité par ses amis et sa famille de rédiger pour eux un mémorial de sa vie en Arménie. Déjà il leur en avait donné une première partie, son Carnet de route, récit alerte du voyage de Constantinople à Sivas ; mais il ne se pressait pas d’achever cette petite œuvre rétrospective, disant « qu’il avait largement le temps avant que son fils fût en âge de comprendre ce qui s’était passé autour de son berceau. »

Seulement après sa mort, après une très grave maladie de Mme Carlier elle-même, le grand-père de l’enfant voulut que, si, un jour, son petit-fils n’avait plus personne pour lui raconter de vive voix la conduite de son père et de sa mère à Sivas, il subsistât du moins un récit des événemens où ils s’étaient si fièrement montrés. Aussi pressa-t-il sa belle-fille de refondre les quelques pages laissées par son mari, et de les compléter avec ses notes et souvenirs personnels. Si douloureuse que lui fût une pareille tâche, la jeune veuve s’y consacra durant de longs mois. De là son Journal de la femme d’un consul de France en Arménie pendant l’hiver des massacres.

Ce journal circula parmi quelques intimes, notamment à Strasbourg où Mme Carlier a coutume de passer les étés. C’est en Alsace qu’un hasard heureux voulut que nous en entendissions parler et eussions connaissance de fragmens qui nous semblèrent du plus vif intérêt. Rentré à Paris, nous tentâmes alors une démarche auprès de M. Carlier père, afin de persuader le chef de famille que le culte de la mémoire de son fils ne permettait pas de laisser ignorer au public ce que raconte ce Journal. Nous le remercions d’avoir favorablement accueilli cette démarche.

M.-F.