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lamentable. Le plus digne hommage que l’on puisse rendre à la mémoire des intrépides qui ont succombé dans la grande lutte pour la conquête de l’air n’est-il point de faire en sorte que leur sacrifice ne soit point inutile ? En opérant ainsi, ne les associe-t-on pas aux triomphes de ceux qui, s’ils ne peuvent être plus braves, seront plus habiles et plus prudens parce qu’ils tireront parti des fautes de leurs prédécesseurs ? Si d’autres inventeurs d’automobiles volans parviennent à évoluer avec succès au-dessus de Paris, pendant ou après l’exposition qui s’est ouverte au Grand-Palais le 10 décembre, ne serait-ce point parce que les catastrophes de leurs aînés leur ont servi de leçon et d’exemple ?

Aussitôt que la Reine des airs voit le dirigeable s’envoler, elle fait un signe et déchaîne la tempête. Le navire aérien chavire, il tombe à terre devant les hommes frappés de stupeur. La nacelle se brise au milieu d’un tourbillon de flammes. L’aéronaute respire encore. Avant de rendre son âme à Dieu, il a la force de prononcer des paroles dignes du Prométhée d’Eschyle lorsqu’il prend l’éther et la terre à témoin de l’injustice des tortures que lui fait subir Jupiter !

Loin d’imiter l’aéronaute que chante le poète anonyme, nous ne cachons point que nous aurions signé avec joie le traité d’alliance que proposait la Reine des airs. Que de choses à admirer dans son empire sans lui désobéir !

Depuis une quarantaine d’années, j’ai fait un assez grand nombre de voyages aériens pour qu’il ne me soit pas possible de savoir au juste combien de fois je me suis fait véhiculer par le gaz. Jamais je n’ai fait deux ascensions qui se ressemblent. Il ne m’a jamais été possible de deviner ce qui m’arriverait, mais presque aucun des projets d’expériences que j’avais formulés en quittant la terre n’a reçu un commencement d’exécution qu’après plusieurs tentatives. Jamais, non plus, je n’ai parcouru une étape dans le pays des nuages sans revenir plus instruit, mieux portant, meilleur peut-être que je n’étais parti. Ce qui, cependant, ne m’a jamais préoccupé, c’est de savoir dans quel point du globe je descendrais. Il faut en excepter mon ascension du Siège où j’étais parti de jour afin d’y voir clair et de ne point tomber dans un camp allemand. A part cette circonstance exceptionnelle, tout ce que j’ai demandé à Eole, c’est de ne pas m’envoyer dans l’empire de Neptune !