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que M. Gilles Valentin, du bureau météorologique de Vienne, s’est élevé jusqu’à l’altitude de près de 7 kilomètres, avec un ballon de 1 200 mètres.

Notre désappointement a été très vif, lorsque, après avoir franchi une première couche flottant de 800 à 1 000 mètres au-dessus de l’usine à gaz de Rueil, nous avons aperçu les falaises nuageuses qu’il nous fallait franchir avant de tourner notre objectif vers le soleil.

La situation était d’autant plus désespérante et désespérée que nous étions partis en retard, à cause des difficultés imprévues qu’avait offertes le gonflement. Le 30 au soir, on avait étalé, sur le sol de la cour des gazomètres, l’étoffe disposée en cercle au-dessous de son filet et recouvrant complètement une manche en toile amenant le gaz léger d’un gazomètre spécialement destiné à l’usage des aéronautes partant de cette usine. Tout était disposé habilement pour que rien n’entravât l’arrivée de l’hydrogène carboné. Mais il était tombé une pluie intense. Le filet s’était gorgé d’eau et, par conséquent, ratatiné d’une façon déplorable. Il aurait été complètement impossible d’y faire entrer l’étoffe, si l’on ne s’était résigné à former un pli détruisant sa régularité, diminuant sa capacité, et augmentant sa tendance aux mouvemens giratoires.

Non seulement notre matériel était lourd, mais nous arrivions bien tard au pied d’un mur formidable de nuées ayant une épaisseur tout à fait inusitée. Pour arriver à l’heure dans les régions lointaines où les doigts de rose de l’Aurore nous rappelaient de plus en plus que l’éclipsé n’attend personne, nous n’avions qu’une ressource : jeter, sac sur sac, tout ce que nous avions de lest. Mais si, par impossible, nous avions réussi à atteindre la zone choisie pour l’observation, nous serions arrivés en tourbillonnant dans tous les sens. Il aurait été absolument impossible d’exécuter une visée correcte et sérieuse. Dans ces circonstances, je crus devoir modérer l’ardeur de mes compagnons et leur demander de regagner le voisinage de la terre. Là nous attendait, maigre compensation cependant, une des ascensions les plus heureuses et les plus intéressantes que j’aie exécutées dans toute ma carrière.

Je pensais que nous rapporterions, au moins, une fiche de consolation, un cliché du soleil non éclipsé pris à bord d’une nacelle avec un appareil téléphotographique d’un grossissement