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Toutefois, lorsque je songe à tous les amis que j’ai successivement perdus parce qu’ils sont morts martyrs d’un élan irrésistible, lorsque je pense au brave Gower, à l’intrépide Eloi, aux deux vaillans Lhoste et Mangot, à l’aventureux Sivel et à son inséparable Crocé-Spinelli, à l’héroïque Andrée, à l’étudiant Strindberg et à l’ingénieur Franckel, ses chevaleresques compagnons, je me sens pris d’une sorte de tremblement intérieur. Je me dis que je n’aurais pas dû renoncer si facilement à l’expédition à laquelle Paul Morin devait prendre part.

Mais la froide raison m’apprend que la prévision de cette tentative ne l’aurait pas détourné de celle qui devait faire couler tant de larmes d’une épouse et d’une fille, mêlant leurs pleurs à celles d’une noble étrangère dont l’enfant ne connaîtra jamais les caresses d’un père...

A peine avais-je renoncé à l’expédition aérienne que M. Bordé, vice-président de l’Aéronautique-Club, me rappela qu’à l’occasion de l’Exposition de 1900, le ministre de la Guerre avait institué un concours pour la construction d’un téléobjectif.

Il fallait qu’à l’aide de cet appareil on pût obtenir, à 8 kilomètres de distance, une épreuve photographique sur laquelle un homme aurait 0,12 millimètres de hauteur et 0,04 de largeur. Ce sont les dimensions nécessaires, à ce qu’il paraît, pour qu’en restant hors de portée du canon, les aéronautes militaires rapportent un cliché sur lequel on puisse compter les hommes, les chevaux, les pièces, et deviner tous les détails de la batterie lointaine que l’on a visée. Il faut interpréter l’épreuve rien qu’à l’œil nu. Il ne serait pas prudent de compter sur un grossissement ultérieur.

M. Bordé m’apprit de plus que ce problème avait été résolu d’une façon brillante, que le prix avait été décerné, et il me montra le rapport du capitaine Houdaille que vient de publier la Revue du génie militaire. Naturellement de si bonnes nouvelles exaltèrent mon enthousiasme, surtout quand je vis que la seule difficulté pour obtenir une image parfaite est d’avoir assez de lumière. « Nous n’en manquerons pas, m’écriai-je, puisqu’il s’agit de photographier le soleil ! Nous n’aurons qu’à mettre devant l’objectif un verre jaune pour ne pas voiler la plaque, installer un chercheur avec un verre noir pour ménager l’œil du photographe et diminuer le temps de la pose, qui est bien lente.